Loi sur les influenceurs : quand les dérives des réseaux sociaux fragilisent les jeunes

Le 30 mars, une proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs a été votée. Cette loi cherche à protéger les jeunes, premiers influencés des réseaux sociaux. 

L’Assemblée nationale, le 20 mars 2023. Photo : Reuters

L’Assemblée nationale, le 20 mars 2023. Photo : Reuters

« Je pense que je ne serai pas la même aujourd’hui, si je n’avais pas eu les réseaux sociaux aussi jeune. » Ces mots représentent une triste réalité pour Lison, 19 ans, étudiante en BTS Tourisme à Poitiers. D’après une étude publiée par le Pew Research Center en novembre 2022, seulement 7% des adolescents estiment que les réseaux sociaux ont un impact négatif sur leur vie personnelle. Pourtant, leur place dans la société, et particulièrement chez les jeunes, est grandissante et inquiète même le gouvernement. Le 30 mars dernier, la proposition de loi, déposée par le groupe de socialiste, visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, a été votée en première lecture par les députés. 

Cette loi vise à encadrer le domaine de l’influence, des placements de produits à la promotion des jeux d’argents, en passant par l’utilisation de filtres. Cette dernière dérive a particulièrement joué sur l’estime d’elle-même de Lison. Et elle le sait. Pur produit de la « Gen Z », elle a toujours eu conscience que les réseaux sociaux avaient une forte influence sur elle. En grandissant, téléphone à la main, elle a pris les habitudes des personnes qu’elle voyait sur son écran et particulièrement les filles de télé-réalité. Alors qu’elle n’était qu’en primaire, elle visionnait déjà des programmes tels que Les Marseillais ou Les Anges de la télé-réalité : « Je le faisais en cachette, mes copines de l’école pareil ! Nos parents ne voulaient absolument pas qu’on regarde ça et je les comprends », rit-elle amèrement.

« Je n’aurai pas été la même sans les réseaux »

Même si elle assure qu’autrefois, lorsque les influenceurs n’étaient pas aussi présents sur internet, « tout était différent sur les réseaux sociaux et la télé » et que la place de ses médias était moins importante, elle reconnaît que grandir de cette façon a faussé son développement personnel. Selon Amy Orben, à l’origine d’une étude publiée dans la revue scientifique Nature Communication et directrice du programme de santé mentale numérique à l’université de Cambridge, « l’adolescence est une période de changements cognitifs, biologiques et sociaux très importants. Ces changements s’interfacent avec les réseaux sociaux de manière très intéressante. Il y a une grande variabilité entre la façon dont les personnes utilisent les réseaux sociaux et la façon dont ils influencent leur vie ». 

Faux ongles, extensions de cils, auto-bronzant : munie de tous ses artifices, Lison tente de rentrer dans le moule du physique parfait porté par certaines influenceuses. Pourtant, nombre d’entre elles ne rentrent même pas dans les critères qu’elles reflètent et véhiculent, puisqu’elles utilisent des filtres déformants, notamment sur Snapchat. Ils permettent d’affiner le nez, les joues, grossir les lèvres, allonger les cils : une véritable chirurgie plastique virtuelle. La promotion de la chirurgie esthétique a, elle aussi, été interdite sur les réseaux sociaux. Mais de plus en plus d’influenceurs vivent à Dubaï et passent par conséquent entre les mailles du filet de la nouvelle loi. 

D’après les chiffres d’un rapport publié par l’IMCAS, dans le monde en 2019, les 18-34 ans ont davantage recours à des opérations de chirurgie esthétique que les 50-60 ans. Des chiffres qui, eux aussi, s’expliquent par l’émergence des réseaux sociaux et la promotion des influenceurs de la chirurgie. 

La promotion du pari sportif : un autre fléau à encadrer

Avec une grande quantité de propositions pour un meilleur encadrement des pratiques des influenceurs, d’autres amendements pourraient se greffer à la loi afin de garantir la sécurité des utilisateurs. La question épineuse de la promotion des paris sportifs est au cœur des débats et reste à trancher. Pour le moment, les députés sont arrivés au compromis suivant en commission : la promotion des paris sportifs et autres jeux d’argents est interdite, sauf lorsque le public ciblé est « explicitement informé par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion que ceux-ci sont réservés aux personnes majeures ». Certains influenceurs mettaient déjà en garde leur communauté avant la parution du texte de loi. C’est notamment le cas du duo de vidéastes automobiles Vilebrequin, souvent sponsorisé par Winamax, site de paris sportifs : « Je tiens à rappeler que les jeux sont interdits aux mineurs, donc si vous avez moins de 18 ans, vous ne jouez pas en fait », rappelle Pierre Chabrier dans une vidéo.

Les paris sportifs sont en effet interdits pour les mineurs par la loi et présentent de nombreux dangers. « L’addiction, c’est une façon de consommer de manière compulsive, récurrente et de n’avoir aucune façon de s’en passer », explique Aline Gourves, psychologue clinicienne en Bretagne. Herwann, 24 ans, en a fait les frais. L’addiction du jeune Finistérien commence vers 2016 lorsqu’il se met à parier sur des plateformes en ligne. « Au début, c’était juste pour rigoler avec des potes. On ne pariait pas grand-chose et ça n’était pas récurrent », explique le jeune Breton. En se servant de sa propre carte bancaire, il utilisait l’argent versé par ses parents sur son compte pour miser des sommes d’argent sur les résultats de match de foot. 

« Un soir, j’ai misé gros, et j’ai gagné gros. J’ai cru que je pouvais me faire de l’argent facile et que ça allait marcher pour moi », se souvient Herwann. À mesure que le temps avance, le parieur en herbe s’isole dans sa pratique et s’imagine déjà grand pronostiqueur. « J’ai misé de plus en plus, sauf que je perdais de plus en plus », regrette le Breton, qui ne s’arrêtait pas pour autant et continuait à parier tous les soirs, seul. Il s’enfonce dans un gouffre sans fin et ne prend pas conscience des dangers qui l’entourent. « À ce moment-là, j’ai tellement perdu… Du temps et de l’argent. »

Une fragilité psychologique au service du pari

Aline Gourves explique ce phénomène : « La première victoire crée une euphorie chez le joueur. Le fait de gagner donne envie de jouer encore plus. » Selon elle, la publicité sur les réseaux sociaux « matraque complètement les utilisateurs » qui font face à des annonces ciblées qui peuvent toucher des gens fragiles, « c’est-à-dire des gens en manque d’argent, qui sont isolés, qui sont âgés ou qui ont des troubles psychologiques, assure la psychologue, ils sont déjà prédisposés à l’addiction ». Les publicités pour les paris sportifs étant plus largement diffusées sur toutes les plateformes et réseaux sociaux par les influenceurs, les personnes fragiles sont plus susceptibles de les voir et de tomber dans une spirale infernale du pari. « Je ne sais pas si je suis une personne fragile psychologiquement, mais c’est sûr que j’ai glissé dans quelque chose de malsain », admet Herwann. Une addiction témoigne d’un problème psychologique plus large et est en fait symptomatique d’une difficulté plus grande qui s’exprime selon la psychologue clinicienne

Selon la psychologue Aline Gourves, les influenceurs sont en partie responsables de cette emprise et de l’addiction que peuvent subir les personnes sous l’emprise des paris sportifs. « Les influenceurs créent une relation de proximité avec des cibles vulnérables, déplore la psychologue. Ils ont une facilité à faire du lien et génèrent un idéal de vie sur leurs cibles. » Bien que toutes les personnes visionnant ce contenu promotionnel ne seront pas impactées ou tentées de jouer, la très large diffusion de ces publicités et le lien que créent les influenceurs sur un public fragile entraîne une augmentation des addictions aux jeux. « J’ai commencé seul, mais je me suis conforté dans mon activité lorsque j’ai vu certains influenceurs qui faisaient la promotion de ces paris, et ils gagnaient beaucoup », reconnaît Herwann. 

Publicité Winamax sponsorisé par Mohammed Henni, figure emblématique des paris sportifs en France. Photo : Winamax

Publicité Winamax sponsorisé par Mohammed Henni, figure emblématique des paris sportifs en France. Photo : Winamax

En effet, les influenceurs sont au cœur de la stratégie promotionnelle de ces sites de paris sportifs. Dans des vidéos publicitaires qui ne sont pas toujours identifiées comme telles, des influenceurs se servent de leur notoriété pour donner des pronostics sur des matchs en influençant leur communauté à faire de même. « Ils misent beaucoup sur des gros matchs, ça donne envie de faire comme eux puisqu’ils gagnent », raconte l’ancien parieur Herwann. 

Ce dernier a finalement réussi à raccrocher les crampons du pari sportif. « J’en ai parlé à des proches, qui ont alerté mes parents et qui m’ont fait voir un addictologue », se confie le Finistérien. Les personnes souffrant d’addiction peuvent en parler à leurs proches ou se rapprocher d’une structure spécialisée*. De son côté, la loi continue sa navette parlementaire et sera débattue au Sénat dans les prochaines semaines.

Lila Martin et Antoine Clément

*En cas de difficulté, vous pouvez vous tourner vers une structure spécialisée comme SOS addiction. La plateforme Joueurs Info Services aide aussi les joueurs addicts avec un site internet donnant des conseils aux joueurs et avec un numéro gratuit ouvert sept jours sur sept de 8h à 2h : 09 74 75 13 13.



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