La contraception masculine existe. Depuis quelques années, de nouveaux dispositifs émergent. De nombreux freins s’opposent toutefois à leur développement. Dans ce contexte, “il est primordial de repenser le partage de la charge contraceptive”.

Thermie, vasectomie, hormonale etc. Les dispositifs de contraception masculine sont aujourd’hui nombreux. Crédit : Pexels
Dans les années 70, la vie des femmes a été bouleversée grâce à l’accès à la contraception. Véritable outil de leur liberté sexuelle et du contrôle de leur fertilité, la pilule est devenue un symbole de lutte contre le patriarcat et a permis aux femmes de se réapproprier leur corps. Néanmoins, l’heure n’est plus à la contraception exclusivement féminine. Risques de thromboses, d’AVC, de crises cardiaques… Malgré les évolutions des différentes générations de pilules et le développement d’autres moyens contraceptifs féminins, leurs effets sur le corps des femmes s’alourdissent, entraînant une baisse de leur popularité.
Face aux effets secondaires et aux impacts sur la santé mentale, l’idée d’une contraception limitée à une “affaire de femmes” n’est plus d’actualité. La tendance se confirme à travers une volonté de partager la contraception entre l’homme et la femme, ce qui passe par le développement des contraceptions masculines.
La chaleur comme principe actif
“Pourquoi est-ce que je continuerais de faire porter la charge de la contraception à ma compagne ?” Vincent, Bruxellois de 35 ans, s’est posé cette question à plusieurs reprises. En couple depuis plusieurs années, il a pu constater que sa partenaire assumait seule “la charge contraceptive”. Face à cela, Vincent a cherché à se rapprocher d’urologues et de sexologues pouvant l’aiguiller sur sa sexualité et dans son envie de prendre part à la contraception dans son couple.
Après quelques recherches, il découvre la contraception masculine thermique et notamment l’Andro-Switch. Créé par Maxime Labrit, ce dispositif est un simple anneau de silicone venant entourer la verge et le scrotum de l’homme, faisant alors remonter les testicules. “Les testicules étant dans la poche haute, elles sont exposées à la température du corps, donc 37°C, ce qui permet d’arrêter la production de spermatozoïdes”, explique son créateur. Pour que ce dispositif soit efficace, il faut le porter environ 15 heures par jour pour des effets contraceptifs effectifs au bout de trois mois d’utilisation.
La technologie est héritée de Roger Mieusset, urologue au sein du CHU de Toulouse et créateur du slip chauffant.. Le système a été repris par le collectif Thomas Boulou, qui, en se basant sur le modèle du slip chauffant, a créé le Jockstrap. Un dispositif fait main lors d’ateliers proposés par l’organisation et qui permettent à tous de venir se renseigner sur les différents moyens de contraception masculine accessibles.
“Je trouve les hormones moins contraignantes”
Parmi les autres méthodes contraceptives, on retrouve la méthode hormonale. “Aujourd’hui, je trouve que les hormones sont moins contraignantes, c’est une piqûre par semaine seulement”, détaille Bobika, dessinateur de BD sur la contraception. D’autres préfèrent s’orienter sur des méthodes contraceptives plus radicales. “En juillet, ça fera 4 ans que j’ai fait ma vasectomie”, explique Guillaume. Une décision prise à la suite d’une volonté d’en finir avec la contraception, notamment pour sa compagne. Un acte beaucoup plus pratique que militant et qui reste, malgré son irréversibilité, parmi les seules contraceptions reconnues par le corps médical.
Même s’il existe aujourd’hui de nombreux dispositifs de contraception masculine, plusieurs facteurs freinent leur développement. “Ce n’est pas obligatoire pour un urologue de se former, ce n’est pas dans le cursus de base. Je ne suis pas sûre que les urologues fraîchement diplômés aient déjà vu ou pratiqué une vasectomie dans leur cursus de médecine”, déplore Gersende Marceau, sage-femme et militante au Planning Familial. Des propos en accord avec ceux d’Antoine Faix, urologue et vice-président de l’association française d’urologie : “On s’y intéresse seulement si on fait une spécialisation, avec des formations complémentaires, mais ça n’est pas au programme d’études”, explique-t-il. Une de ces formations complémentaires est d’ailleurs proposée par la Société d’Andrologie de Langue Française (SARL).
Pour Erwan Taverne, fondateur du collectif Garcon (Groupe d’action et de recherche pour la contraception), “il arrive que les utilisateurs soient mieux informés que les professionnels de santé qu’ils sont venus voir”. Alors, Gersende Marceau a décidé d’agir. “Vu la demande de formation aux dispositifs de contraception masculine, il nous a semblé intéressant d’en proposer”, relate la sage-femme. Proposer des formations aux professionnels de santé, une initiative qui n’est pas forcément du goût du Conseil des Médecins. “Je n’ai pas été bloquée, mais j’ai été pointée du doigt. On m’a demandé des explications parce que je forme des professionnels de santé à des méthodes qui ne sont pas validées scientifiquement, comme la méthode thermique”, explique Gersende Marceau. Des dispositifs non certifiés par l’Union Européenne, en raison, notamment, d’une réglementation très rigide.
“Barrière réglementaire”
“Voilà un autre frein important au développement de la contraception masculine : la barrière réglementaire”, déplore Maxime Labrit, créateur de l’Andro-Switch. Comme tous les dispositifs médicaux, les techniques de contraception masculine doivent remplir “un cahier des charges assez compliqué pour répondre à une réglementation européenne drastique. Nous devons prouver l’innocuité et l’efficacité du dispositif”, ajoute-t-il.
En raison du coût exorbitant des mesures à prendre pour être conforme à la réglementation, le dispositif de Maxime Labrit n’a pas encore obtenu de certification européenne. De ce fait, “l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé), la police des médicaments, a suspendu la vente, la distribution et la promotion de l’Andro-Switch sur le territoire européen”, développe le créateur. Avant d’ajouter que “les démarches sont en cours pour obtenir la certification européenne”.
Face à ce mur réglementaire, la coopérative Entrelac agit pour accompagner les créateurs de dispositifs contraceptifs, dans le but d’obtenir une certification européenne. Pour Antoine Kolodziej, un des trois créateurs de cette coopérative, il est possible de trouver une explication à cette complexité réglementaire. “Après plusieurs scandales, comme le Médiator ou les pilules de 3e et 4e générations, le règlement européen s’est extrêmement rigidifié”, explique-t-il.
Aujourd’hui, “pour que Maxime Labrit développe un mode de production d’anneaux conformes au standard européen, il faut qu’il mette en place des normes ISO. La norme 13485 précisément, qui régit la qualité des dispositifs médicaux”, précise Antoine Kolodziej. Derrière cette appellation peu parlante se cachent des “analyses de risque, la mise en place d’un système d’analyse qualité dans sa chaîne de production, le recrutement de volontaires et toute une partie sur les essais cliniques à monter”, énumère le salarié d’Entrelac. Quand un dispositif médical est certifié par cette norme ISO, il est “largement en conformité avec le règlement européen”, ce qui n’est actuellement pas le cas pour les dispositifs de contraception thermique. “Tout seul, c’est impossible d’obtenir la certification, à moins d’être millionnaire”, soupire Maxime Labrit.
“Paresse politique”
“Outre les démarches réglementaires, obtenir une certification européenne est très coûteux”, annonce le créateur. C’est pourquoi Entrelac s’active à essayer de débloquer des fonds. “Nous avons répondu à un appel à projet américain pour une levée de fonds. Grâce à eux, nous devrions être en mesure d’injecter 300 000 dollars dans l’essai clinique de l’Andro-Switch. Si nous sommes pessimistes, cela représente un quart du budget de la certification de l’anneau”, développe Antoine Kolodziejek. Et cela, pour les dispositifs start-up plus classiques, ce sont des business modèles peu conventionnels, donc nous avons très peu de financement.”
“Rien en France n’a permis de financer notre travail, les fonds viennent des Etats-Unis.” – Antoine Kolodziejek, co-créateur de la coopérative Entrelac
La question du financement est importante et fortement liée à l’état de développement des dispositifs contraceptifs. Dans cette bataille, les laboratoires pharmaceutiques se montrent prudents. “Développer la contraception masculine, ça coûte des investissements, avec des retours sur investissement perçus comme faibles, puisqu’on s’attend à ce que tout client en plus fasse une cliente en moins”, relate Erwan Taverne.
Des barrières réglementaires et une certaine frilosité financière freinent donc l’accès de certains dispositifs à la certification européenne. Pour Antoine Faix, urologue, c’est clair, “nous n’avons pas à prescrire la contraception masculine. C’est du matériel qui existe sur le marché, mais qui est interdit par l’agence nationale du médicament”. Gersende Marceau reconnaît de son côté que “ce sont des dispositifs médicaux et qu’il est important d’avoir des protocoles scientifiques afin de se baser dessus. C’est une réalité, mais le fait de botter en touche directement en disant : ‘c’est interdit, on ne vous le prescrit pas’, et bien ce n’est pas vrai. La seule chose que l’on peut dire, c’est que nous n’avons pas assez d’études. Mais il est impossible de dire actuellement qu’il est dangereux pour un homme de se contracepter. Il vaut mieux dire que nous manquons de recul et renvoyer vers une personne spécialisée”.
Concernant le développement de la contraception masculine, le monde politique a aussi son rôle à jouer. Au sein d’Entrelac, “nous sommes aussi en contact avec nos députés et ministres”, narre Antoine Kolodziejek. “Il y a beaucoup de recherches et d’administration dans nos démarches, ce qui fait que les politiques nous renvoient assez facilement aux acteurs référents, comme la HAS, quand ils ne veulent pas nous parler”, continue-t-il. Aux yeux d’Erwan Taverne, “on voit que dans le monde politique, beaucoup d’hommes assez vieux sont en train de verrouiller le circuit. Le manque de parité dans ce milieu freine aussi le développement de la contraception masculine”.
“Désacraliser les testicules”
“Je pense que les freins au développement de la contraception masculine et le système patriarcal instauré depuis très longtemps, trop longtemps, sont intimement liés”, lance Erwan Taverne. Une domination masculine ancrée dans la société et dans “l‘imaginaire des garçons”, selon le collectif Thomas Boulou. “Pour être un homme, il faut suivre des règles que tout le monde suit. Et aux yeux de beaucoup, se contracepter ce n’est pas du tout ce qu’il faut faire pour ‘être un homme’, poursuit le collectif.
Ainsi, il devient primordial de “désacraliser les testicules” et “reconstruire un imaginaire collectif”. C’est en tout cas ce que pense Bobika, dessinateur de la BD “Au cœur des Zobs”. Cette dernière traite de la contraception thermique par le prisme de “l’humour”. Pourquoi cela ? Parce que “j’aime bien déconstruire tout le sérieux que l’on met autour des testicules, comme organe puissant et viril”, explique Bobika. Déconstruire une mentalité masculine hégémonique paraît donc un point nécessaire, afin de permettre un développement plus important de la contraception masculine.
Education, courage politique et financier
“L’éducation est d’une importance capitale !”, lance le collectif Thomas Boulou. “Il faut commencer, dès maintenant, à expliquer aux garçons qu’ils peuvent se contracepter et qu’ils ont le choix”, ajoute-t-il. Une sensibilisation annuelle à ces questions est censée être obligatoire dans le milieu scolaire. “Une loi de 2001 rend obligatoires trois séances d’éducation à la vie affective et relationnelle à l’année. Mais un rapport de 2014 montre à quel point cette loi est très mal appliquée”, soupire Erwan Taverne. Une formation plus conséquente à l’égard de la jeunesse est nécessaire, mais aussi auprès du “personnel de santé”, rappelle Gersende Marceau.
“Il est aussi nécessaire que le monde politique s’équipe de plus de courage, tout comme les institutions financières”, explique Maxime Labrit. De son côté, le dessinateur Bobika pense qu’il est nécessaire de “considérer les hommes contraceptés comme normaux, il ne faut pas les héroïser”.
Dans tous les cas, Maxime Labrit assure que “la contraception devra toujours rester aux mains des femmes. S’il y a une grossesse, ça ne se passera jamais dans le corps d’un garçon, ça se passera toujours dans le corps de la fille. Par contre, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas proposer une coopération et un partage”.
Jeanne Paumier et Jean Rémond
Catégories :Plus Loin
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