Enquête. En manque d’espace, le pôle universitaire de Vichy envisage de déménager sa médiathèque 

Ambitieux d’accueillir plus d’étudiants à l’avenir, le pôle universitaire repense ses lieux pour libérer de la place. La médiathèque universitaire de l’Orangerie pourrait migrer dès la rentrée 2024 vers la médiathèque municipale Valery-Larbaud, avec comme premier objectif de désengorger un restaurant universitaire surchargé.

La médiathèque de l’Orangerie. Les étudiants peuvent y travailler et consulter de nombreux ouvrages. Photo : Théo Laroche

La médiathèque de l’Orangerie. Les étudiants peuvent y travailler et consulter de nombreux ouvrages. Photo : Théo Laroche

Tous les midis, au restaurant universitaire Lardy, la file d’attente s’étend, s’étire sur plusieurs dizaines de mètres. On attend parfois 30 minutes, et il ne nous reste que 10 minutes pour manger”, plaide un étudiant en kiné. « Je n’y vais plus, je n’ai pas le temps », se désole un autre. Si le problème ne date pas d’hier, il est temps pour le pôle universitaire de mettre les formes dans l’objectif de la mairie d’accueillir 4 000 étudiants à la rentrée 2035. Depuis plusieurs mois, une idée a été lancée par le président de l’agglomération Vichy Communauté et maire de Vichy, Frédéric Aguilera : intégrer la bibliothèque universitaire de l’Orangerie à la médiathèque municipale Valéry-Larbaud, et ainsi permettre l’ouverture d’une annexe au restaurant universitaire, “plus moderne”, selon Caroline Da Conceicao, directrice du pôle universitaire. 

Un projet qui présente un gros avantage : la possibilité d’ouvrir le nouveau restaurant “dès la rentrée 2024”. Vichy Communauté a donc commandé une étude du projet le 12 janvier dernier et espère arriver à un scénario abouti avant l’été. “La décision finale appartiendra au président de l’agglomération, après discussion avec l’adjointe à la culture de Vichy, le Vice-Président délégué à l’enseignement supérieur de Vichy Communauté et le Président de l’UCA”, précise Caroline Da Conceicao. Si le feu vert est donné, le coût et le financement du projet seront discutés lors de l’élaboration du budget 2024, fin 2023. 

Le manque d’espace ne date pas d’hier

Pour Frédéric Aguilera, la qualité du service de restauration est une priorité : “Je ne veux pas que l’on décourage les étudiants.” 

“On fait partie d’un territoire qui a des difficultés sociales, il faut permettre aux étudiants d’avoir accès au repas à 1 euro.” – Frédéric Aguilera, maire de Vichy

Béatrice, employée au restaurant universitaire, sert à manger tous les midis depuis cinq ans. “Avant le Covid, le restaurant était déjà plein et même bien plus, il y avait de la queue sur 50 mètres, jusqu’aux portes de l’université, se rappelle-t-elle. On voit aujourd’hui la nécessité d’un gain d’espace.” A la suggestion d’une extension, Béatrice coupe court : “Le devant du restaurant est classé au patrimoine de la ville, on ne peut pas y toucher.” La communauté d’agglomération a aussi envisagé de transformer un ancien fast-food proche en un réfectoire, mais “c’est une solution de court terme” et pas satisfaisante, selon Caroline Da Conceicao.

La question de l’espace a été centrale dès la création du pôle à la place des anciens thermes, à la fin des années 1990. Des maisons ont alors été détruites et la tour a été agrandie pour créer de la place. 


Les anciens thermes Lardy se sont dotés d’une plus grande tour pour accueillir les étudiants. Infographie : Théo Laroche

Initialement prévu pour accueillir entre 400 et 800 étudiants, le pôle recense cette année 1400 inscrits à l’université, au Cavilam (association d’accueil d’étudiants étrangers) et dans les autres formations privées comme les écoles d’ostéopathie et de psychomotricité. 

Plus de plages horaires pour les étudiants

Frédéric Aguilera explique donc que “l’une des hypothèses est de déplacer la médiathèque au niveau de la bibliothèque Valery-Larbaud”, à deux cents mètres du pôle Lardy (voir la carte ci-dessous). “La place dégagée permettrait de répondre aux besoins de lieux de travail que l’on veut développer au sein du pôle Lardy. L’idée serait de partager l’Orangerie entre une partie restaurant universitaire et des espaces de travail.” 


La nouvelle bibliothèque se situerait à 200 mètres du pôle universitaire. Cela renforcerait l’aspect campus comme c’est le cas dans de nombreuses villes, où les infrastructures universitaires sont éclatées dans un même quartier.

Concernant la médiathèque Valery-Larbaud, Fréderic Aguilera aimerait y “libérer un étage qui pourrait être quasiment réservé [aux étudiants]”. Il insiste sur l’importance d’exploiter “au moins autant d’espaces de travail qu’à l’Orangerie”.

On souhaite aussi installer plus de box de travail séparés qu’à l’Orangerie.” – Caroline Da Conceicao, directrice du pôle universitaire.

Les horaires d’ouverture de la bibliothèque universitaire étaient jugés trop restreints par beaucoup. La migration vers le site Larbaud permettrait une plus grande amplitude, en employant davantage les étudiants pour surveiller les lieux, comme c’est déjà le cas entre 18 et 20 heures à l’Orangerie. La responsable de la médiathèque universitaire, Kathleen Le Cornec, explique que “les horaires seront étendus aux samedis ainsi qu’à un dimanche après-midi par mois”. Aujourd’hui, la bibliothèque Valery-Larbaud est ouverte le mardi et le jeudi de 14h à 18h et le mercredi, vendredi et samedi de 10h à 19h. En comparaison, la médiathèque de l’Orangerie est ouverte du lundi au vendredi, de 10h à 20h. 

Gilles, retraité, passe chaque jour plusieurs heures entre les deux médiathèques. Il s’interroge sur l’aspect pratique du projet : “Où trouveront-ils la place ? Le rez-de-chaussée et un étage sont dédiés à la médiathèque, et un autre niveau est réservé aux archives du patrimoine de la Ville.”  Kathleen Le Cornec explique que “des groupes de travail entre les agents des deux médiathèques font tout pour présenter des scénarios sans perte d’espace de la bibliothèque universitaire”. Membre de ces groupes, elle admet le défi d’un travail commun, et surtout un véritable bouleversement pour les employés de l’Orangerie comme de Valery-Larbaud. Trois groupes sur sept ont déjà entamé leurs réunions : les collections (pour savoir quels documents mutualiser et lesquels trier dans le but de libérer de l’espace),  l’administration et  l’aménagement. Tels sont, à l’heure actuelle, les piliers du projet.

Ici, il y a une vraie âme”

Depuis l’évocation du projet au cours d’une réunion sur la vie étudiante en présence de la présidence de l’UCA, de celle du pôle, des enseignants et des étudiants en février, mécontentement et inquiétude se manifestent. “Un pôle universitaire sans bibliothèque, c’est quand même fâcheux,” réagissent certains professeurs de différentes formations dans les couloirs. “C’est un élément central de tout complexe universitaire, et même si Valery-Larbaud n’est pas loin, ce n’est pas exactement dans le pôle”, pointent-ils encore.

Marc Pougheon, enseignant au sein du BUT journalisme* (la formation des auteurs de cet article), s’inquiète :  “Je pense que le pôle est sincère en présentant cette solution comme une amélioration, mais le fait est qu’elle sera moins utilisée par les étudiants, car située plus loin. Je crains la dilution de la bibliothèque universitaire.” Félicie, en troisième année de kiné, espère d’ailleurs pouvoir toujours compter sur le personnel de l’Orangerie : “Ils nous ont énormément aidés lors de la rédaction de nos mémoires.” Kathleen Le Cornec rassure, “l’objectif est de ne rien changer concernant le personnel et plus globalement le service étudiant.” 

Une bibliothèque a une place symbolique dans tout centre universitaire”, assure Sonia Reyne, présidente de l’Union des clubs de la presse de France et francophone et intervenante en BUT journalisme. “Je ne pourrai plus dire à mes étudiants d’aller chercher un magazine pendant un cours. C’est toujours plus simple de faire 100 mètres pour aller manger que pour aller chercher un magazine.” Par ailleurs, perdre l’Orangerie serait problématique, car il n’y aurait plus que des espaces de circulation au sein du pôle, en supprimant le seul lieu d’échanges.  

Un temps, la cour sur laquelle donne l’Orangerie était le cœur culturel du pôle. Photo : Théo Laroche

Un temps, la cour sur laquelle donne l’Orangerie était le cœur culturel du pôle. Photo : Théo Laroche

Les étudiants, premiers concernés, craignent eux une perte de praticité. “Parfois, je n’ai que 20 minutes pour bosser, je n’aurai pas le temps d’aller jusqu’à Valery-Larbaud”, s’inquiète Lancelot, étudiant en MMI. Alexis, en première année de STAPS, remarque : “L’Orangerie est située à dix mètres d’une de nos salles de cours.” Appuyée sur l’un des bureaux à l’étage de l’Orangerie, Sarah, elle aussi en filière sportive, s’interroge : “Chaque jour, la moitié de ma promo assiste aux cours en visio ici. Parfois, on est libérés de cours en présentiel quelques minutes avant un autre. C’est très pratique de n’avoir que quelques mètres à parcourir pour aller suivre un cours. D’autres ne veulent pas perdre une bibliothèque “confortable, bien équipée, et surtout belle.” En première année d’ostéopathie, Julia évoque les “magnifiques verrières du bâtiment”, et son “petit truc en plus” : “A Valery-Larbaud, tout est neuf, presque froid, alors qu’ici, il y a une vraie âme”. A voir si l’aspect extérieur de l’Orangerie, comme ses grandes vitres et sa terrasse, sera laissé intact.

Le projet de réaménagement de la médiathèque de l’Orangerie prend aussi en compte la fréquentation des étudiants extérieurs au pôle Lardy. “Ils sont beaucoup à ne pas oser venir à la médiathèque de l’Orangerie, car ils se disent que ce n’est pas leur place”, analyse Frédéric Aguilera. Une situation que constate aussi Arnaud Didier, président du bureau des étudiants “La Baie des Étudiants”. “Il faut savoir que [ces] étudiants n’ont pas de bibliothèque universitaire. Le projet Valery-Larbaud pourrait concerner davantage d’étudiants.” Félicie ne voit pas la situation du même œil : “L’intérêt des deux espaces est justement que l’un est dédié aux étudiants, alors que l’autre est fréquentée par des collégiens, des lycéens y révisent leur bac. Ce n’est pas du tout la même ambiance et ça serait néfaste de confondre les deux.”

Le premier étage de la médiathèque Valery-Larbaud. Photo : Théo Laroche

Le premier étage de la médiathèque Valery-Larbaud. Photo : Théo Laroche

Frédéric Aguilera assure que si le cahier des charges n’est pas rempli en tous points, le projet sera abandonné. “Si nous n’arrivons pas à dégager suffisamment d’espace à la bibliothèque Valery-Larbaud, que le projet n’est pas suffisamment qualitatif et que les horaires ne sont pas assez larges, cette solution ne sera pas crédible”, explique-t-il. Pour résoudre la question de l’espace, il se dit aussi “engagé à construire des antennes du pôle et de nouveaux bâtiments” à moyen terme, mais pour cela, il attend d’avoir la certitude d’accueillir de nouvelles formations. 

“Simples utilisateurs”

Sur la forme, Marc Pougheon attendait du pôle “de la concertation avec ceux qui savent comment les étudiants travaillent et ce dont ils ont besoin.” Or les professeurs n’ont pas encore été invités à se prononcer sur cette question devenue épineuse. Pour Caroline Da Conceicao, l’équation est simple : “Je le dis de manière très cash, mais c’est nous qui payons, donc c’est nous qui décidons“, pose-t-elle. Cela donne l’impression, à tort ou à raison, à des enseignants comme Marc Pougheon, que “le pôle met les formations devant le fait accompli”

Mais Caroline Da Conceicao rappelle qu’elle a rencontré le président des bibliothèques universitaires de l’UCA : Il nous a indiqué les points sur lesquels il fallait être vigilant, comme le ratio de places disponibles ou encore l’usage futur de la bibliothèque.” Frédéric Aguilera assure de son côté que des concertations devraient ausi avoir lieu avec étudiants et professeurs. Il déplore par ailleurs ceux qui adoptent “une posture”. “Je ne comprends pas ceux qui disent qu’une bibliothèque universitaire, ça ne peut pas être dans une bibliothèque. Ça pour moi, c’est une posture qui n’a pas de sens”, tranche-t-il. 

“Je ne demande qu’à dépenser de l’argent pour les étudiants”

Certains enseignants redoutent aussi que ce projet de délocalisation soit pour Vichy Communauté une occasion de faire des économies. Frédéric Aguilera, qui a fait du développement universitaire de la ville une priorité, rejette fermement cette opinion, mettant en avant le fait que Vichy finance son université, à la différence de la plupart des communes : l’Agglomération injecte chaque année deux millions d’euros pour l’université. Dire que l’on raisonne de manière économique, c’est ne rien comprendre à la gestion du pôle. Nous ne sommes pas en train de diminuer les moyens, mais au contraire de les augmenter. Que ceux qui ne sont pas contents s’occupent plutôt de développer cette université, et le jour où on aura la certitude d’atteindre les 4 000 [étudiants], on construira même des bâtiments supplémentaires. Je ne demande qu’à construire et à dépenser de l’argent pour les étudiants”, insiste-t-il.

Les groupes de travail planchent et tentent de se mettre d’accord sur un scénario complet et crédible, qu’ils présenteront au président de la communauté d’agglomération dans quelques mois. Si ce dernier le valide, il sera présenté dans la foulée au cours d’une réunion publique. En attendant, L’Effervescent se tient informé des avancées relatives à la délocalisation de l’Orangerie et vous communiquera les informations à sa disposition une fois le projet fini.

Julien Poireau et Théo Laroche

*Des enseignants d’autres filières ont été contactés, mais n’ont pas souhaité répondre à L’Effervescent. Pour autant, les doutes concernant le projet dépassent le cadre du BUT journalisme.



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