Comme de nombreux secteurs, celui de l’auto-école récolte aujourd’hui les frais de l’augmentation des prix. Le carburant est évidemment en ligne de mire, mais d’autres problèmes émergent avec la crise. L’Effervescent s’est rendu dans différents coins de l’Hexagone pour faire le point sur la situation.

En 2023, la France compte environ 12 000 auto-écoles sur son territoire. Photo : Jean-Philippe Gionnet
Deux euros et trente centimes, voilà le record pour le prix du sans plomb 95 en France. Il s’est affiché le 10 novembre 2021 dans une station parisienne. Si ce chiffre impressionnant demeure exceptionnel, il est le reflet d’une réalité inéluctable.
Les prix augmentent pour tout le monde et davantage encore pour les entreprises qui basent leur commerce sur le carburant, comme les auto-écoles. Si elles sont amenées à beaucoup plus rouler et consommer en plus grandes quantités, les structures de formations à la conduite ne jouissent pas pour autant d’un régime particulier. Comme pour chaque entreprise, le carburant fait partie des achats dont la TVA est déductible, mais c’est à peu près tout. Un avantage minime qui ne leur permet pas d’éviter les retombées de la crise actuelle.
“On est obligés d’augmenter nos tarifs”
“Si on ne répercute pas l’augmentation, on va se retrouver dans le rouge”, estime Marc Paput, responsable de l’auto-école Campet à Vichy. “Les prix du carburant ont augmenté de 15% depuis l’année dernière.”. Même constat pour Amélie, salariée de Libourne Espace Conduite (LEC), près de Bordeaux : “On paye environ 150 euros de plus chaque quinzaine.”
Il est donc logique d’observer un peu partout une hausse des prix des heures de conduite. Si l’augmentation n’est que de 1 ou 2 euros dans certaines villes comme à Vichy, à Libourne certaines auto-écoles ont majoré leurs tarifs de 5 euros depuis janvier 2022. “Nous avons tout fait pour attendre au maximum, mais à un moment donné on finit par être obligés de le faire”, explique Elodie, salariée dans l’auto-école Baudou Dugos, où une heure de conduite supplémentaire coûte désormais 48 euros, le prix le plus bas à Libourne.
Pourtant, certaines entreprises préfèrent jouer la carte du maintien tarifaire, car ils ont déjà des prix supérieurs. “Nous n’avons pas encore augmenté en 2023 mais ça risque d’arriver”, déclare Marion qui travaille chez Cityzen. “On avait augmenté de 4 euros en janvier 2022, on était passé de 48 à 52 euros”, complète son collègue Julien. Plus à l’est, à Aix-en-Provence, le discours est le même. “Pour le moment je suis parvenue à tenir mais je sais qu’au prochain trimestre j’augmenterai mes tarifs. Ce sera très certainement de l’ordre de deux euros en plus par heure de conduite”, regrette Marion Morin, directrice d’une auto-école du réseau ECF (école de conduite française).
“Tant que je n’augmente pas mes tarifs, ma marge ne fera que baisser, et elle est déjà faible.” – Marion Morin, directrice d’une auto-école
Pour l’auto-école de la gare d’Orsay, “entreprise à taille humaine”, c’est “un sujet d’actualité”. Mais à ce jour, ils ont décidé de ne pas encore répercuter la hausse des prix sur leurs tarifs. Contenu de la conjoncture, le choix est délicat autant pour les auto-écoles que pour les clients. “Nos salariés ont des enfants, des familles à nourrir et forcément, ils réclament aussi une augmentation de salaire pour pallier la hausse du coût de la vie” mais en même temps, il est délicat de demander aux clients d’avoir “à choisir entre remplir son frigo ou s’inscrire à la formation du permis”.
La concurrence leur met néanmoins la pression. “Autour de nous, une multitude d’autres protagonistes l’ont fait, donc on ne pourra pas tenir si on n’augmente pas nous aussi.” Surtout après les dépenses et les pertes causées par la pandémie mondiale. Afin d’appréhender le virus en toute sécurité, il a fallu équiper les véhicules (bâches, masques à fournir…). Durant la Covid, il a notamment fallu faire face à des imprévus onéreux, comme des semaines entières de planning annulées et difficilement reconductible en raison de cas contact qui étaient vite arrivés.
Génération climat
D’autant que dans le contexte de crise, entre l’augmentation fulgurante des prix et le réchauffement climatique, les jeunes deviennent sceptiques et réticents à l’idée de s’engager dans la formation au permis : “Ils prennent de plus en plus leur temps avant de se lancer, avec les transports, ils retardent le plus possible. Le permis n’a plus la même valeur qu’avant où il était comparable à un véritable diplôme dont on pouvait être fier.” Moins de clients investis et plus d’argent à rentrer, le schéma apparaît pernicieux et inextricable.
Cette année, les responsables des auto-écoles peinent plus que jamais à faire rentrer de l’argent. “J’ai beaucoup de problèmes de trésorerie surtout avec ces charges”, relate Marc Paput. Avec cette crise il y a un manque de confiance mutuelle qui se met en place entre les clients et les responsables d’auto-écoles. “Il faut durcir les lois, pour faire rentrer l’argent”, réclame Marc Paput. Ils l’ont pour la plupart remarqué. Les personnes payent de plus en plus au compte-gouttes avec des versements différés. “J’ai des élèves qui espacent leurs heures de conduite pour payer sur plusieurs mois”, confie Elodie, salariée de chez Baudou Dugos. Des paiements en différé qui n’arrangent pas les caisses des auto-écoles.
Aujourd’hui, il n’existe pas de solution miracle pour économiser. Si les simulateurs peuvent être une bonne initiative pour consommer moins de carburant, les auto-écoles s’accordent sur l’imperfection de l’outil. “C’est la solution pansement de l’Etat pour que l’on paye moins cher, mais ce n’est pas du tout pédagogique”, constate Marc Paput. Tout le monde se rejoint : une machine ne peut pas remplacer les conditions réelles. “Ce n’est pas adapté à toutes les formations”, explique Amélie, salariée de chez LEC. “Je suis complètement contre, les élèves ne sont pas en situation de conduite, ils n’ont pas l’appréhension et la réaction des autres”, conclut Elodie. Même son de cloche à Cityzen, où il n’y a plus de simulateur depuis quinze jours. “C’est un choix pédagogique de l’arrêter complètement, il n’était pas utile dans la plupart des cas”, commente Julien.
Le recours aux véhicules électriques
Les voitures électriques ont très vite été évoquées pour surmonter la hausse des prix, mais là non plus, la solution n’est pas viable. La raison : le nombre de bornes trop faible en ville. “Ponctuellement cela pourrait être utile, mais impossible de toutes les faire charger en ville”, explique le responsable de l’auto-école de Vichy. L’idée avait également germé dans la tête de Marion Morin à Aix-en-Provence. Pour la directrice de la structure ECF, équiper ses moniteurs de voiture hybrides paraissait être une bonne solution pour faire des économies, mais sa situation l’en empêche. Située en plein cœur de la ville, l’auto-école est obligée de confier les voitures aux moniteurs qui les ramènent chez eux. “Je ne peux pas leur demander d’avoir de quoi recharger à leur domicile”, confie Marion en évoquant la situation.
Même si ces alternatives existent, les prix des voitures électriques sont en constante évolution aussi. “Nous venons d’en acheter une deuxième, mais il faut pouvoir la financer car les prix ne font qu’augmenter”, précise Elodie. Certaines auto-écoles se lancent donc dans le leasing. Mais la location a ses limites, estime Mathieu, salarié de cette auto-école : “Le prix des locations a doublé, c’est difficile de s’en sortir.”
Alors que reste-t-il ? Stéphane Lacam, directeur de l’auto-école FMC St Louis à Aix-en-Provence, a fait le choix de l’éthanol et ça lui réussit. Début 2022, face à des prix toujours plus élevés à la pompe, il a décidé d’investir dans des boîtiers de conversion à l’E85 pour sa petite dizaine de véhicules. Une initiative impulsée par la région PACA qui a favorisé financièrement et au niveau de la logistque l’installation de ces boîtiers. Associé à une légère hausse de ses prix, le passage à l’éthanol semble porter ses fruits pour l’auto-école. Fièrement assis à son bureau, le directeur se targue d’un taux de réussite de 92% à l’examen du permis de conduire. “Les plannings sont pleins, je suis surchargé”, clame-t-il en pointant du doigt son agenda griffonné.
Des complications diverses
Au-delà du carburant, les auto-écoles sont poussées dans leurs retranchements sur d’autres fronts. Les difficultés auxquelles elles doivent faire face aujourd’hui ont parfois des sources plus lointaines, comme la crise du covid. Évidemment touchée par le prix du carburant, Marion Morin de l’ECF d’Aix-en-Provence pense néanmoins que le souci le plus important à l’heure actuelle n’est pas là.
Obtenir des créneaux pour passer l’examen du permis de conduire est devenu une étape délicate. “Comment cela se fait-il que je doive attendre aussi longtemps pour pouvoir le passer ?”, s’agace un client au bureau de la directrice. Marion est obligée de lui expliquer qu’il n’y a pas assez d’inspecteurs pour pouvoir trouver une date plus rapidement.
“Un jeune qui raterait son permis en mars ne pourrait le repasser qu’en septembre.” – Marion Morin
Dans les difficultés à appréhender, on retrouve aussi une nouvelle hausse tarifaire prévue en 2023 du côté des assurances. L’assurance auto va ainsi accroître ses prix de 26% dès le 1er mars prochain. Une auto-école possède souvent plusieurs véhicules qui doivent chacun être assurés au plein tarif.
Enfin, reste le problème des délais de livraison. La livraison de véhicules adaptés pour les auto-écoles a pris énormément de retard, à l’instar de l’ensemble du secteur automobile. Néanmoins, grâce à son affiliation au réseau ECF, l’auto-école de Marion n’a pas à subir ce problème, car les commandes de véhicules s’effectuent à l’échelle nationale. Pour autant, elle se retrouve tout de même privée d’une voiture actuellement. Depuis deux mois l’une d’entre elles est tombée en panne et demeure immobilisée faute de livraison de la pièce qui permettrait de la réparer. Là-aussi, la chaîne d’approvisionnement a pris du retard.
Jade Buisson, Astrid Jurmand et Joey Temple
Catégories :Plus Loin
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