Brésil : pour comprendre l’attaque de Brasilia, retour sur l’histoire contrastée de la démocratie brésilienne

L’assaut des institutions brésiliennes par les militants pro-Bolsonaro a récemment ébranlé le pays. Un événement qui rappelle l’histoire compliquée qu’entretiennent le Brésil et la démocratie.

Des manifestants bolsonaristes ont pris d'assaut la place des Trois-Pouvoirs, à Brasilia, le 8 janvier2023.

Des manifestants bolsonaristes ont pris d’assaut la place des Trois-Pouvoirs, à Brasilia, le 8 janvier2023.

Le pouvoir démocratique brésilien a chuté, le 8 janvier dernier, ou plutôt rechuté. Une nouvelle fois dans son histoire, le Brésil fait face à des événements qui ébranlent la démocratie, et le pays tout entier. Les sièges des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, regroupés à la capitale Brasilia, ont été envahis. Des milliers de partisans de Jair Bolsonaro ont manifesté contre le résultat des dernières élections, qui ont propulsé Lula à la tête du pays, au détriment de leur président en place. 

Plus qu’un assaut violent, c’est une attaque frontale à la démocratie. Les Brésiliens, qui ont eu tant de mal à imposer une démocratie à la tête de leur pays, voient dans cette insurrection une symbolique terrible, celle de la mise au tapis de tous les efforts consentis depuis 40 ans.

L’instabilité du XXe siècle

Comme pour bon nombre d’Etats dans le monde, le XXe siècle est le théâtre de grands changements au Brésil. Ce siècle, le Brésil l’entame d’ailleurs dans son premier système « démocratique ». En 1888, un coup d’Etat dirigé par le maréchal républicain Deodoro da Fonseca et une faction de l’armée renverse le régime impérial en place. Cette première république dure jusqu’à 1930, avant qu’un nouveau coup d’Etat ne la renverse, pour installer un président à sa tête. Jusqu’en 1945, un nouveau système républicain est mis en place, mais son fonctionnement n’est que peu démocratique. Silvia Capanema, historienne, spécialiste du Brésil et de l’Amérique Latine, raconte à L’Effervescent ces systèmes présidentiels : « Jusqu’en 1930, la participation électorale du système présidentiel ne dépasse que rarement les 2 %. Il est difficile de qualifier le pouvoir en place de démocratique. Après le coup d’État de 1930, un seul président est en place durant 15 ans jusqu’à la fin de la guerre ». Le changement intervient après la guerre, dans une période que certains historiens appellent « l’entracte démocratique ».

Pendant 19 ans, jusqu’en 1964, des élections sont établies, et on observe une émergence de la classe moyenne. « C’est une période où il y a un vrai débat social, de la liberté de la presse, des gouvernements progressistes », poursuit Silvia Capanema. Cette première période réellement démocratique provoque la réaction des conservateurs, qui articulent dès 1954 un coup d’Etat, avorté par le suicide du président Gétulio Vargas. Acculé et en procédure de destitution, ce dernier met fin à ses jours, retournant l’opinion de masse et empêchant les militaires de prendre le pouvoir. Ce coup d’État aura finalement lieu 10 ans plus tard, en 1964.

Aidée par les Etats-Unis, qui soutiennent militairement les conservateurs sud-américains pour éviter de nouvelles crises comme celle de Cuba, l’armée met en place une dictature autoritaire et répressive jusqu’en 1985. Durant presque 20 ans, les militaires contrôlent le gouvernement, et il faut attendre 1985 pour qu’un civil soit nommé président. Cette nomination fait suite à de nombreuses manifestations provenant de tout le pays, qui poussent à la mise en place d’une élection. La dictature répressive prend fin avec ce changement, et une nouvelle démocratie se met en place.

La Constitution de 1988 et la Nouvelle République

La junte militaire écartée du pouvoir, on observe alors au Brésil la mise en place du système dans lequel fonctionne le pays aujourd’hui. La Constitution de 1988 est créée, véritable acte fondateur du Brésil. Le partage des terres est institutionnalisé, permettant aux plus pauvres d’en bénéficier, alors que les grands propriétaires avaient toujours été favorisés. Les pouvoirs sont divisés, et la procédure de destitution rentre dans la constitution. Enfin, le Brésil adopte des systèmes de santé et d’éducation très novateurs. La Nouvelle République est créée.

Ulysses Guimarães présente la Constitution, en 1988.  Photo : Agência Brasil

Ulysses Guimarães présente la Constitution, en 1988. Photo : Agência Brasil

Ce sont ces grandes évolutions qu’apporte la Constitution qui vont d’ailleurs permettre la (relative) stabilité politique du Brésil jusqu’à aujourd’hui. Les années 2000 sont marquées par les deux mandats de Lula, qui met en place une politique de lutte contre la pauvreté et le racisme. Ces années de prospérité vont cependant prendre fin avec l’arrivée d’une forte crise dans tout le pays, qui affaiblit le Parti Travailliste, encore au pouvoir.

« Depuis plusieurs années, une accumulation d’événements ont affaibli la démocratie »

L’état actuel du Brésil ne vient évidemment pas de nulle part. Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et directeur de l’Observatoire de l’Amérique Latine pour la fondation Jean Jaurès. Pour lui, l’invasion de la place des Trois-Pouvoirs rentre dans la continuité des dernières années au Brésil.: « Depuis plusieurs années, une accumulation d’événements ont affaibli la démocratie. Le changement n’a pas été aussi brutal qu’en 1960, mais il s’est plutôt fait avec des pressions », explique-t-il à L’Effervescent. 

Après la destitution de la présidente travailliste Dilma Rousseff en 2016, les élections de 2018 étaient attendues. Le Parti des Travailleurs est alors jugé responsable de la crise en cours, mais le retour de Lula maintient le PT en position de force. En face, Jair Bolsonaro, figure de l’extrême droite et ancien militaire, est plus en retrait. Sauf que Lula est accusé de corruption et se retrouve jugé avant la présidentielle. « Le jugement a été fait en accéléré, chose très rare au Brésil. La droite a formulé publiquement des menaces à l’égard de la justice pour que Lula soit emprisonné », détaille Jean-Jacques Kourliandsky. « Les élections passées, il a été libéré. » Au final, le PT désigne en dernier recours Fernando Haddad, qui obtient 44% des voix au second tour. C’est Jair Bolsonaro qui devient président. 

Le mandat de Jair Bolsonaro a aussi contribué à l’affaiblissement considérable de la démocratie dans le pays. Dans ses discours, l’ancien militaire n’hésite pas à faire l’éloge de la junte en place pendant la dictature, ou de faire l’éloge de la torture. Quelques semaines avant les élections, la menace d’un maintien du pouvoir de Bolsonaro, quel que soit le résultat, planait sur le Brésil. « Les habitants n’ont pas attendu le 8 janvier pour se poser des questions sur la démocratie », explique à L’Effervescent Laetitia Rossi, journaliste correspondante pour Babel Doc au Brésil. La récente attaque des institutions démocratiques par les pro-Bolsonaro est cependant le point culminant de ces dernières années.

Lula face à l’armée

Récemment mise en cause pour n’avoir que peu freiné l’invasion de la place des Trois-Pouvoirs, l’armée joue un rôle important dans la question démocratique au Brésil. A chaque coup d’Etat depuis 1930, c’est l’armée qui prend les devants en renversant le pouvoir en place. « Les Etats latins, comme africains, sont des États récents, peu stabilisés », justifie Jean-Jacques Kourliandsky. « L’armée est l’élément le plus stabilisant. Dans les années 70 en Amérique Latine, les militaires ont eu ce rôle, pour la droite comme la gauche, de structurer un pays, souvent en prenant le pouvoir de force. » En 2018, l’armée s’empare aussi du pouvoir au Brésil, mais de manière démocratique.

L’élection de Jair Bolsonaro, ancien parachutiste, a remis l’armée au centre de la carte. Sur les mois qui suivent son élection, le président place de nombreux militaires dans des postes à responsabilité au gouvernement. L’armée n’a pas pris le pouvoir par la force, elle l’a investi. C’est d’ailleurs en partie la cause de l’échec du mandat de Bolsonaro, les militaires étant très souvent incompétents pour le poste qu’ils occupaient. « Au Brésil, dans l’idée générale, l’armée est très liée à Bolsonaro et ses militants », rappelle Laetitia Rossi. Le corps militaire est en majorité en accord avec les principes de Bolsonaro, puisqu’il est directement touché par ses revendications, et que le président est « de son côté ». « Les militaires ont associé leurs revendications aux contestations sociales des pro-Bolsonaro », conclut Jean-Jacques Kourliandsky

Lula, à l’orée de son mandat, avait pour défi de faire du Brésil une démocratie solide, à nouveau. Mais les événements de Brasilia, qui ont fait trembler les institutions du pays, vont lui faire reprendre son objectif depuis bien plus loin : du début.

 Victor Ollivier



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