Derrière la réforme des retraites, un bras de fer décisif à l’Assemblée et dans la rue

Les syndicats sont vent debout, le gouvernement droit dans ses bottes. Le tout sur fond de bataille pour les retraites. Après avoir mis en lumière les lignes rouges de la nouvelle réforme des retraites, mardi 10 janvier, l’exécutif l’a présenté en Conseil des ministres, lundi 23 janvier dernier. Le projet suit son petit bonhomme de chemin. De leur côté, les syndicats ont uni leur force pour lui faire barrage, une première depuis 2010. Le bras de fer a commencé. 

Selon la CGT, près de 400 000 personnes se sont rassemblées à Paris, jeudi 19 janvier, pour protester contre la réforme des retraites. Photo : F. Blanc / Flickr

Selon la CGT, près de 400 000 personnes se sont rassemblées à Paris, jeudi 19 janvier, pour protester contre la réforme des retraites. Photo : F. Blanc / Flickr

Le projet qu’a présenté le gouvernement, ce mardi 10 janvier, face aux journalistes, est loin de faire l’unanimité. Le monde politique est divisé sur cette réforme, quand les syndicats se sont tous unis pour s’y opposer. Un bras de fer qui secoue l’Assemblée, ou les groupes d’oppositions haussent la voix. Parmi les points de crispations, le véhicule législatif choisi par le gouvernement pour faire passer cette réforme.

L’heure tourne

Les discussions seront courtes, les échanges d’autant plus vifs. La raison ? Les mesures de la réforme des retraites seront contenues dans le Projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (PLFSSR). Un détail qui rogne grandement sur le temps d’examen du projet au palais Bourbon.“Au bout de 20 jours, s’il n’y a pas eu de vote, le texte partira au Sénat qui, lui, aura 15 jours pour l’examiner“, développe Frédéric Mathieu, député La France Insoumise de la première circonscription d’Ille-et-Vilaine. “C’est la première fois qu’on va utiliser un projet de loi de financement de la Sécurité Sociale rectificatif pour faire autre chose que de l’ajustement budgétaire”, ajoute le député.

Cette mesure est prévue par l’article 47-1 de la Constitution. Si, au terme du second examen, par le Sénat, aucun vote n’émerge, le texte sera examiné en commission mixte-paritaire (commission réunissant sept députés et sept sénateurs). Le temps d’examen de la réforme est donc restreint et les oppositions y voient un “déni de démocratie. Sans rentrer dans les détails, se pose aussi, de plus en plus, la question de la constitutionnalité de cette réforme.

Les Républicains, en marche vers la réforme

Les échanges seront d’autant plus courts qu’un accord a été passé avec Les Républicains. Il est ainsi probable que le texte soit adopté au Sénat, si ce n’est à l’Assemblée nationale. Le parti d’Eric Ciotti est majoritaire à la chambre haute. Du côté de l’Assemblée nationale, leurs voix, additionnées à celles de la majorité présidentielle, forment une majorité. Si les leviers parlementaires et sénatoriales se montreraient tout de même trop fermes,  “on peut se dire que la commission mixte-paritaire sera conclusive en raison de l’accord avec la droite républicaine”, glisse Frédéric Mathieu. 

Les Républicains sont historiquement initiateurs des projets visant à réformer les retraites. Il aurait donc été étrange de les voir s’opposer frontalement à la réforme. Reste que, Annie Genevard, député Les Républicains de la circonscription du Doubs, l’assure auprès de l’Effervescent, “ma famille politique ne votera qu’une réforme qui porte sa marque”. “Nous pensons que la réforme des retraites est indispensable pour sauver notre système par répartition, mais nous avons des lignes rouges non-négociables”, ajoute-t-elle. Parmi elles ; “ne baisser ni les pensions, ni les cotisations”. Si la volonté des Républicains n’est pas prise en compte par le gouvernement, “nous nous nous réservons le droit de ne pas voter la réforme”, assure la députée. Au risque de se porter en porte-à-faux d’un électorat aux aguets sur les retraites. Mais pas d’inquiétude, le gouvernement à pris en compte quelques-unes de leurs demandes. 

La main tendue du gouvernement à la droite

L’extension de la revalorisation des pensions minimales de retraite aux retraités actuels était un souhait des Républicains. Tout comme le passage de l’âge légal de départ de 64 à 65 ans et l’allongement de la durée de cotisation. Voici les conditions d’une réforme qu’Eric Ciotti présentait comme “juste”, dans le JDD. Le gouvernement a pris en compte l’avis de la droite républicaine.

Les Républicains pourraient toutefois ne pas sortir totalement gagnant de cette bataille des retraites. Le jeu doit être mené avec subtilité pour ne pas gommer les différences qu’ils entretiennent avec la majorité présidentielle. “C’est le risque politique, mais voter leur réforme ne veut pas dire que nous soutenons les porteurs du projet. C’est qu’il faut que nous fassions comprendre”, se défend Annie Genevard. Si les députés LR votent la réforme, encore faut-il que les sénateurs du même groupe suivent cette voie. Malgré certains points de crispation, “un accord devrait se trouver facilement”, assure Annie Genevard.

Certains lieutenants républicains font cependant front à ce projet depuis quelque temps. L’un des “effets de bord” de la réforme prévoit une durée de cotisation allongée à 44 ans pour certains salariés, contre 43 pour les autres. Un échantillon de Républicains, recensé par France Inter, serait donc de plus en plus frileux à l’idée de voter la réforme, en raison de son aspect peu “social”. Un changement de cap qui pourrait coûter cher à la majorité présidentielle.

De leur côté, les groupes d’oppositions se dressent fermement contre la réforme. Le Rassemblement national essaiera probablement de se placer en premier opposant au projet du gouvernement, ils n’ont d’ailleurs pas appelé à la mobilisation, préférant combattre dans l’hémicycle, quand les groupes de gauche multiplieront les amendements. Parfois appelée “obstruction parlementaire”, cette pratique d’opposition est bien connue à La France Insoumise. “On va déposer énormément d’amendements”, garantit Frédéric Mathieu, député du parti de Jean-Luc Mélenchon. 

On assume de produire beaucoup d’amendements car, face à des délais extrêmement contraints, on essaie de donner du temps au débat.” – Frédéric Mathieu, député LFI

De cette stratégie politique découle celle du gouvernement. Faire passer cette réforme le plus rapidement possible, en raison du temps que prendrait un examen complet du projet de loi. Les groupes d’oppositions continueront à faire barrage, et plus d’un million de personnes sont sorties dans la rue, à l’appel d’une intersyndicale, jeudi 19 janvier. Le temps de débat se doit d’être court pour le gouvernement.

“Une mesure de régression sociale”

Les syndicats ont aussi leur rôle à jouer dans les boîtes, nous on ne peut pas y aller à leur place”. Aux yeux de Frédéric Mathieu, les luttes doivent être sur tous les fronts. Côté syndicale justement, la mobilisation est historique. Des syndicats qui ont “toujours essayé de se placer en partenaire de la discussion”, à l’image de la CFDT, ont aujourd’hui “appelés à la mobilisation”, rappelle Dan Israël, coordinateur du service économie et sociale de Mediapart. La CFDT a déjà fait des concessions à de précédents gouvernements sur les réformes des retraites. Sauf qu’aujourd’hui, l’heure est au rapport de force. 

Macron a fait comprendre qu’il n’a pas grand chose à faire des corps intermédiaires”, s’indigne Béatrice Shuh Nef, permanente syndicale à la CDFT. Les “partenaires sociaux” ont pourtant été concertés par Elisabeth Borne pour mettre en œuvre ce projet. Dès “octobre, des négociations étaient entamées”, se rappelle Béatrice Schuh Net, et les différents représentants syndicaux ont défilé dans le bureau d’Elisabeth Borne, quelques jours avant la présentation de la réforme. À la différence des Républicains, aucune concession ne leur a été accordée. 

“On était prêt à accepter d’autres mesures qui permettent d’équilibrer un peu plus, admet pourtant Béatrice, mais le report de l’âge de départ en retraite, ce n’est pas possible pour nous”, se désole-t-elle enfin. La ligne rouge a été franchie par le gouvernement, l’âge légal a été décalé. “Une mesure de régression sociale”, selon le syndicat Force Ouvrière. La CFDT, syndicat réformiste, “non-contestataire”, comme le rappelle Béatrice Schuh Nef, a donc appelé à la mobilisation, jeudi 19 janvier. Un fait rare. Pour Dan Israël, “c’est ce pouvoir en particulier qui ne veut pas être partenaire avec les syndicats”. 

Brasier populaire

“Ça a déjà commencé à casser en 2018/2019. Puis arrive la réforme chômage qui tape très fort sur les chômeurs les plus précaires […] Ces deux réformes ont scellé une rupture totale entre les syndicats de salariés et le pouvoir”, analyse le journaliste. Depuis, il y aurait donc comme un froid. En tout cas, la rue commence à crépiter. Un feu social s’est allumé, attisé par le souffle uni des syndicats. 

Dans ce climat social ardent, le CGT des mines et de l’énergie prévoit des coupures d’électricité ciblées, à l’égard des personnes qui soutiendraient la réforme, tout en assurant cibler des secteurs “d’activité non-essentielle”. De son côté, la SNCF appelle l’ensemble des secteurs de “son champ fédéral” à se mobiliser “à très haut niveau”, mardi 31 janvier, date annoncée par l’intersyndicale. Plus frileux, le syndicat des enseignants UNSA ne va pas multiplier les grèves avant la prochaine date de mobilisation annoncée. De son côté, la CGT des Ports et Docks n’a pas attendu, et a annoncé une mobilisation dès le 26 janvier. Les raffineurs se mobilisent eux aussi. Les stations de ski laissent quant à elle planer le doute d’une grève durant les vacances d’hiver. Le tout sur fond de contestation populaire majeure.

Voilà toute l’ampleur de ce bras de fer. En chef d’orchestre de cette opération, le pouvoir exécutif fait face à une bourrasque de colère populaire, mais continue d’avancer contre le vent. Combien de temps ce rapport de force pourra-t-il durer ? Qui lâchera le premier ? Les jours suivants seront décisifs. 

Jean Rémond



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