Retraites : quatre questions pour comprendre la nouvelle réforme

Lors d’une conférence de presse, mardi 10 janvier, Elisabeth Borne a dévoilé les détails d’une réforme des retraites très controversée. L’Effervescent revient sur les tenants et aboutissants de ce projet.

Un senior travaillant dans une usine devra désormais attendre l'âge de 64 ans pour partir à la retraite, sauf s'il bénéficie du dispositif "carrière longue". Photo : Pexels

Un senior travaillant dans une usine devra désormais attendre l’âge de 64 ans pour partir à la retraite, sauf s’il bénéficie du dispositif “carrière longue”. Photo : Pexels

Un texte, dix articles, plus de d’un million de personnes dans les rues. Après les annonces des nouvelles mesures de la réforme des retraite par Elisabeth Borne, mardi 10 janvier, tous les syndicats majoritaires ont appelé à la mobilisation. “Une première depuis 2010”, précise Béatrice Schuh Nef, permanente syndicale à la CDFT. Le gouvernement présente ce projet en raison d’un déficit annoncé concernant le financement du système des retraites. Tout n’est cependant pas si simple. Jeudi 19 janvier, une première journée de manifestations massives a eu lieu. Une prochaine suivra le 31 janvier. Le bras de fer a commencé. 

1. Quelles sont les nouvelles mesures ?

En amorce de son discours, Elisabeth Borne a assuré qu’un tel projet vise àdéfendre l’un des fondements de notre modèle social. Après une brève introduction, la Première ministre détaille les nouvelles mesures de la réforme. Explications.

Le report de l’âge légal de départ à la retraite, ligne rouge à ne pas franchir pour les syndicats, est bel et bien présent dans le projet du gouvernement. Dès le 1er septembre 2023, il sera repoussé de “trois mois par an”. Il atteindra ainsi 63 ans en 2027 puis, à terme, 64 ans en 2030. Concrètement, une personne qui commence à travailler à 21 ans en 2023 (sans interruption), peut partir à la retraite à taux plein à 64 ans. Il est aussi possible de partir avant 64 ans et disposant du dispositif de carrière longue. Il faut alors avoir cotisé au moins cinq semestres avant 20 ans. Le taux plein correspond à la pension maximum de retraite que l’on peut toucher.

D’un autre côté, les années de cotisations nécessaires pour partir à la retraite à taux plein n’augmentent pas. En 2014, le pouvoir socialiste met en place la réforme Touraine. Cette dernière prévoit un allongement de la durée de cotisation nécessaire d’un trimestre tous les trois ans, de 2020 à 2035. Les années de cotisations nécessaires seront donc fixées, à terme, à 172 trimestres, soit 43 ans. Avec la nouvelle réforme, le gouvernement propose d’aller plus vite et d’ajouter “un trimestre supplémentaire par an”. Le but étant d’atteindre 172 trimestres cotisés en 2027, à la place de 2035. 

Si une personne décide de partir à la retraite sans avoir assez cotisé, une décote sera appliquée. Cette mesure prévoit une baisse des pensions pour ceux qui partent à la retraite sans avoir assez de trimestres cotisés. Pour obtenir une retraite à taux plein, il est alors possible de travailler jusqu’à 67 ans, ou de poursuivre son activité jusqu’à obtenir 172 trimestres cotisés.

Nombre de trimestres cotisés nécessaire afin de bénéficier d’une retraite à taux plein / Crédit : Lou Tidjani / Sources : Service Public (graphique avant réforme, 19 avril 2022)

Nombre de trimestres cotisés nécessaire actuellement afin de bénéficier d’une retraite à taux plein. Crédit : Lou Tidjani / Source : Service Public (graphique avant réforme, 19 avril 2022)

Certains régimes spéciaux, créés pour compenser la pénibilité de certains métiers du secteur public et permettre de partir plus tôt à la retraite, vont être supprimés (IEG, RATP, clercs et employés de notaire, Banque de France, Cese). Cette mesure s’appliquera dès le premier septembre 2023, tout en conservant la “clause du grand-père”. Autrement dit, seuls les nouveaux employés seront ainsi concernés par ces suppressions. Les personnes actuellement en régime spécial conserveront leur statut.

Les pensions minimums de retraites vont être augmentées. Un salarié ayant une carrière complète au SMIC touchera une pension équivalente à 85% de son montant, soit près de 1 200 euros brut. Le gouvernement souhaite aussi augmenter les petites pensions des retraités actuels, au niveau du SMIC. Un “renforcement” du dispositif de carrière longue va aussi être mis en place (graphique). Cette mesure permet d’atteindre plus rapidement l’âge légal de départ à la retraite, pour les personnes qui ont commencé à travailler tôt. 

Concernant les critères de pénibilité, certains seuils vont être abaissés afin de rendre ces mesures accessibles à un nombre plus important de salariés. Ce système fonctionne par points. En étant exposé à des conditions de travail difficiles, le salarié accumule des points sur son Compte Professionnel de Prévention (C2P). Ces derniers lui permettent de partir plus vite à la retraite. Six critères de pénibilité sont pris en compte : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif, les activités en milieu hyperbare, les températures extrêmes ou encore le bruit. Ils seront élargis à plus de 60 000 salariés par an, selon Olivier Dussopt, ministre du Travail. Autant de personnes qui pourront ainsi plus facilement accumuler des points. 

Afin de “favoriser l’emploi des séniors”, point sensible de la réforme, le gouvernement a annoncé créer un “index”. Un dispositif déjà mis en place concernant l’égalité homme/femme au travail. Les contours de cette nouvelle mesure sont toutefois encore assez flous et aucune sanction n’est encore prévue pour les entreprises.

2. Comment fonctionne le système par répartition ?

Notre système repose actuellement sur un principe simple : la solidarité intergénérationnelle. Aurel Mélard, économiste à l’Institut des Politiques Publiques précise à L’Effervescent que ”les actifs cotisent pour leurs aînés dans l’espoir de recevoir eux-mêmes une pension une fois l’âge de la retraite arrivé”, En termes plus techniques, c’est un système paramétrique et par répartition. “On utilise le terme ‘par répartition’, car les cotisations des actifs [salariés] paient les pensions des retraités”, éclaire l’économiste.

Afin d’éclaircir ce terme jargonneux de “système paramétrique”, Aurel Mélard ajoute que “l’équilibre du système dépend de certains paramètres”. On y trouve “l’âge d’ouverture des droits (AOD), la durée d’assurance requise pour le taux plein, le taux de pension, le salaire de référence, ou encore l’âge d’annulation de la décote”. Ce sont ces paramètres qui influencent la date de départ en retraite des actifs, ainsi que le montant des pensions que ces derniers peuvent toucher. Le système des retraites français repose donc sur un subtil équilibre.

3. Pourquoi le gouvernement défend cette réforme ?

La première ministre Elisabeth Borne justifie la nécessité de la réforme par le caractère inévitable du déficit dans le futur”, éclaire Aurel Mélard. Pour justifier ce constat, le gouvernement se base sur un rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), publié le 15 septembre 2022. Ce dernier prévoit effectivement un déficit de l’ordre de 12 milliards d’euros à l’horizon 2027Le COR a été créé pour réaliser un diagnostic annuel sur l’état du système de retraite, notamment sur les besoins de financement. Emmanuelle Prouet a exercé des fonctions au sein du secrétariat général de cette instance de 2011 à 2015. 

Pour rédiger ses rapports “le COR fonctionne en proposant plusieurs scénarios”, relate Emmanuelle Prouet auprès de l’Effervescent. Comme cette instance émet des projections à court, moyen et long terme sur les besoins du financement du système des retraites, il est nécessaire de prendre en considération de nombreux paramètres. “Plusieurs indicateurs sont ainsi pris en compte, notamment le taux de chômage, la productivité et l’évolution démographique”, précise Emmanuelle Prouet. 

L’évolution démographique est un facteur important concernant les finances du système des retraites. Son équilibre repose entre autres sur le nombre de cotisants, donc sur la population active. Un phénomène majeur est d’ailleurs pris en compte par le COR : l’impact du Baby Boom. “Jusque dans les années 1970, une génération très nombreuse a travaillé et a cotisé. Cela a créé beaucoup de ressources. Mais depuis un peu plus de 10 ans, ces générations partent à la retraite et cela pèse sur les financements. Ce phénomène va durer jusqu’en 2030 à peu près”, argumente Emmanuelle Prouet. Rappelons tout de même que les projections financières réalisées à long terme sont à prendre avec précaution, tant certains facteurs tels que l’immigration peuvent les faire varier. 

En raison des nombreux paramètres pris en compte, le COR a prévu “cinq scénarios différents dans son dernier rapport”, éclaire Emmanuelle Prouet. “Dans certaines circonstances, le déficit se creuse beaucoup, alors que d’autres hypothèses prévoient un financement excédentaire dans quelques années”, ajoute-t-elle. Ici réside toute la difficulté de la question : les interprétations que l’on peut faire du rapport du COR sont bien différentes. Dans tous les cas, Aurel Mélard l’assure, “à un horizon plus proche, tous les scénarios estiment un déficit d’environ 0.5% du PIB par an, soit 12 milliards d’euros par an”. Rappelons aussi que dans son rapport du 15 septembre dernier, le COR prévoit un excédent budgétaire de l’ordre de 3,2 milliard d’€ en 2022 concernant les finances du système des retraites. 

Reste qu’un déficit est prévu à l’avenir. Raison pour laquelle le gouvernement présente sa nouvelle réforme des retraites. Elle vise à combler ces pertes annoncées, pour un “retour à l’équilibre à l’horizon 2030”, selon Elisabeth Borne. L’argument est simple. Il est financier et démographique. Comme l’espérance de vie augmente, le nombre de retraités suit mathématiquement cette tendance. Aux yeux du gouvernement, il est donc nécessaire de travailler plus longtemps, dans l’objectif de combler les pertes à venir.

4. L’Union européenne est-elle derrière cette réforme ?

Interrogé par l’Effervescent, Dan Israël, coordinateur du service économie et social de Médiapart, explique que “ce déficit ne met pas le système des retraites en danger, il représente 3% de ce qui est versé chaque année pour les retraites (entre 300 et 350 milliards d’euros)”. Aux yeux du journaliste, “les dépenses sont donc maîtrisées”. Interrogé par l’Effervescent, Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à l’université Rennes 2 et membre des économistes atterrés, “cette réforme n’a aucune urgence économique et ne se justifie qu’en raison de l’engagement que l’Etat a pris face à Bruxelles”.

Le gouvernement français fait face à un problème. Il a promis à Bruxelles, dans ce que l’on appelle la ‘trajectoire budgétaire’, une augmentation très modeste des dépenses publiques dans les cinq prochaines années”, précise Dan Israël. Difficile alors de combler de leur poche le déficit annoncé. En revanche, si les gens travaillent plus longtemps, les cotisations seront alors plus élevées, moins de pensions seront déversées et le déficit devrait être comblé sans que l’état n’augmente ses dépenses. Son engagement financier auprès de Bruxelles serait alors respecté. “L’État a choisi de faire peser sur le système des cotisations sociales la réduction des dépenses publiques”, estime Anaïs Henneguelle. 

En 2019, la Commission Européenne a aussi incité la France à “réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes”. Dans un Tweet, le député Nicolas Dupont-Aignan, président du parti Debout La France, accuse la France de se soumettre à l’Union européenne. De son côté, Marine Le Pen voit une forme de “chantage” de la part de Bruxelles. Tout n’est pas si simple. Dans un article, le journal Le Monde met les choses à plat et précise que Bruxelles n’a jamais “contraint formellement la France” à faire cette réforme.

Derrière la réforme des retraites se cache un microcosme économique très technique. Il convient de se pencher en détail sur les tenants et aboutissants de cette dernière afin d’obtenir une partie des clefs de compréhension.

Jean Rémond



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