La nouvelle réforme des retraites est présentée comme “juste” par le gouvernement . Une communication imparable et bien ficelée. Le ministre des Relations avec le Parlement Franck Riester a pourtant mis un coup de pied dans la fourmilière en concédant que les “femmes sont un peu pénalisées” par ce nouveau projet. Retour sur les oubliées de cette réforme.

Franck Riester, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, a avoué sur Public Sénat que les femmes allait “être un peu pénalisées”. Photo : Pexels
Lors du conférence de presse, mardi 10 janvier, Elisabeth Borne a révélé les grandes lignes d’une réforme des retraites controversée. Le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation en sont les mesures phares. Un projet “juste” et “indispensable”, aux yeux du gouvernement, pour combler le déficit à venir du financement du système des retraites. Reste que cette réforme est loin de faire l’unanimité. Décryptage.
Les femmes qui devront travailler plus longtemps que les hommes
Parmi les personnes laissées pour compte par la réforme figurent les femmes. Sur le plateau de Public Sénat, lundi 23 janvier au soir, Franck Riester, ministre chargé des Relations avec le Parlement à avoué que “les femmes sont un peu pénalisées par la réforme”. Une étonnante sortie de route, si l’on se réfère aux arguments que martèle l’exécutif pour assurer que les femmes vont être bénéficiaires de cette nouvelle réforme. Quand est-il réellement ?
Les femmes seront bel et bien pénalisées par cette réforme. Selon une étude d’impact, portant sur la réforme des retraites et publiée lundi 23 janvier, les femmes devront travailler en moyenne plus longtemps que les hommes. Elles devront travailler en moyenne 7 mois de plus, contre 5 pour les hommes. Si l’on descend dans la pyramide des âges, cette inégalité se creuse de plus en plus. A titre d’exemple, les femmes de la génération née en 1980 devront travailler en moyenne huit mois de plus, contre quatre pour les hommes.
Lorsque une femme a un enfant, elle peut toucher des “trimestres par enfants”. Chaque enfant rapporte huit trimestres, quatre liés à l’accouchement et quatre autres liés à l’éducation. Ces derniers ne sont pas acquis d’emblée. Une femme ne peut toucher les quatre trimestre au titre de l’éducation qu’une fois son enfant arrivé à l’âge de quatre ans. Un trimestre par année donc.
C’est sur ce point qu’est intervenu Franck Riester sur Public Senat, lundi 23 janvier. “Les femmes, pour atteindre leur durée de cotisation, utilisent notamment des trimestres validés par enfant […] Évidemment si vous reportez l’âge légal (à 64 ans), elles sont un peu pénalisées”, a-t-il osé. Ces trimestres raccourcissent uniquement la durée de cotisation nécessaire afin de toucher une retraite à taux plein. Ils n’ont pas d’impact sur l’âge légal de départ à la retraite.
Avant la réforme, le fait d’accumuler ces trimestres permettait de partir à la retraite avant 62 ans. Mais si l’âge légal de départ à la retraite augmente, les femmes devront tout de même attendre 64 ans avant d’espérer arrêter leur activité. Rappelons aussi que les femmes partent en moyenne plus tardivement à la retraite que les hommes, même avant cette nouvelle réforme des retraites. Cela s’explique par certaines interruptions de carrières, dûes au temps partiel subi ou au congé maternité.
La nouvelle réforme propose aussi de prendre en compte les congés parentaux dans la durée de cotisations, à hauteur de quatre trimestres maximum. Elles peuvent ainsi partir à la retraite prématurément grâce au dispositif de carrière longue. Cette mesure ne devrait concerner que 2000 femmes en moyenne chaque année.
Dans une tribune au Monde, la chercheuse Christiane Marty s’insurge des effets de cette réforme pour les femmes. « Tout nouvel allongement de la durée de cotisations ne ferait qu’aggraver ces inégalités », peut-on lire. Elle accuse aussi le maintien d’âge d’annulation de la décote à 67 ans d’être nocif pour les femmes, dans la mesure où elles ont plus souvent des carrières hachées.
Les femmes représenteraient cependant plus de la moitié des bénéficiaires de la revalorisation retraite (près de 60%). Selon Public Sénat, “cette hausse sera également plus marquée pour les femmes que pour les hommes, entre 1 et 2,2 % de hausse selon les générations, contre 0,2 à 0,9 % chez les hommes, ce qui devrait permettre de réduire l’écart du niveau de pension homme-femme”.
L’emploi des seniors, le point épineux de la réforme
Autre point sensible de la réforme, l’emploi des seniors, pour lequel un “index” va être créé par le gouvernement. Les entreprises devront renseigner le sort qu’elles réservent aux seniors en publiant un indicateur annuel. Aucune obligation d’embauche n’est mise en place. Toutefois, les entreprises de plus de 300 salariés qui ne publieraient pas cet “index” pourraient faire l’objet de “sanctions financières”, à hauteur de 1% de la masse salariale de l’entreprise, a-t-on appris lundi 23 janvier par Olivier Dussopt, ministre du Travail. En revanche, aucune sanction n’est prévue si le taux d’emploi des seniors n’augmente pas au sein de l’entreprise.
“On sait que beaucoup quittent le marché du travail avant d’arriver à la retraite, soit parce qu’ils sont au chômage, malade ou en invalidité”, analyse Emmanuelle Prouet, employée au département Travail Emploi et Compétence chez France Stratégie. “Les entreprises françaises sont celles qui, en Europe, se débarrassent le plus des salariés de plus de 55 ans”, argumente Dan Israël. Avant d’ajouter que ce phénomène est “la conséquence d’une longue tradition commencée dans les années 1980. L’Etat poussait les entreprises à mettre les gens de plus de 55 ans à la porte, avec l’espoir de réduire le chômage en faisant partir les seniors.”
Emmanuelle Prouet ajoute que les entreprises misent sur cette pratique car elle “permet aux jeunes, plus nouvellement formés et moins chers, les salaires étant dépendants de l’ancienneté, de prendre la place des seniors plus coûteux”. Augmenter l’âge légal de départ à la retraite sans mettre en place une véritable politique d’embauche des seniors peut donc être une stratégie à double tranchant.
La pénibilité au travail
Un autre point problématique de cette réforme : les ouvriers précaires et les personnes qui ont commencé à travailler tôt seraient le plus impacté. “Le plus gros problème, à mes yeux, c’est que cette réforme va principalement taper sur les classes moyennes et populaires parce qu’elles vont devoir travailler plus longtemps”, avoue Anaïs Henneguelle, maîtresse d’économie à l’université Rennes 2 et membre des économistes atterrés. “Les cadres travaillent en moyenne moins que les ouvriers, alors que les ouvriers vivent en moyenne moins longtemps et en moins bonne santé”, renchérit Dan Israël, coordinateur du service économie et social et Mediapart.
En 2017, le gouvernement d’Emmanuel Macron a supprimé plusieurs critères de pénibilité. Être exposé aux vibrations mécaniques, aux agents chimiques, au port de charges lourdes ainsi que d’autres critères ne sont donc plus pris en compte. “Souvent, on oublie la différence d’espérance de vie entre un cadre et un ouvrier . Il ne faut pas oublier que l’espérance de vie est une moyenne. Comment travailler plus si notre corps est cassé ?”, se questionne auprès de l’Effervescent Zinédine Hirech, ouvrier intérimaire chez l’Oréal, employé dans la restauration et adhérent au Parti communiste.
Elisabeth Borne a toutefois assuré vouloir “prendre en compte l’usure professionnelle liée aux conditions d’exercice de certains métiers”. Un suivi médical régulier ainsi qu’un fond de prévention d’un milliard d’euros, destiné à la pénibilité au travail, sera mis en place. Les critères supprimés n’ont toutefois pas été réhabilités.
L’économiste Anaïs Henneguelle met en lumière un point qu’elle trouve positif dans la réforme : la revalorisation des pensions de retraite à 85% du SMIC, pour une carrière complète à ce salaire. Elle ajoute tout de même que “cette mesure était normalement une obligation légale depuis 2003 mais les décrets d’application ne sont jamais passés”. Reste qu’à ses yeux, “le minimum vieillesse est aujourd’hui remplacé par un dispositif qui s’appelle l’ASPA, l’Allocation de Solidarité aux personnes âgées. Le montant dépend de la structure familiale mais il s’élève à près de 650 € par mois. C’est très faible donc c’est une bonne chose d’avoir valorisé à 85% du SMIC”.
Il existe tout de même certaines subtilités concernant cette revalorisation : difficultés pour les carrières incomplètes, le montant de 1200 euros annoncé est brut, les prélèvements sociaux n’ont donc pas été effectués et un flou persiste quant à la “revalorisation” des pensions des retraités actuels. Les personnes les plus touchées par cette réforme seraient donc celles qui seraient le plus affectées par le recul de l’âge légal de départ à la retraite, “seule solution” envisageable pour combler le déficit financier qui s’annonce, aux yeux du gouvernement. L’unique solution, vraiment ?
Les solutions de financement alternatives
“Déplacer l’âge légal de départ à la retraite n’est pas la seule solution pour combler le déficit annoncé, mais le gouvernement ne se mouille pas sur les autres”, lance Dan Israël. Il existe plusieurs leviers pour combler le déficit. Le premier est bel et bien de déplacer l’âge légal de départ à la retraite. Selon un sondage BVA pour RTL, réalisé auprès d’un échantillon de Français les 20 et 21 janvier et rendu public mardi 24 janvier, 69% des français sont opposés à un recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.
Le second consiste à baisser les pensions de retraite, donc les dépenses publiques. Aurel Mélard, économiste à l’Institut des Politiques Publiques précise que “depuis 1987, les pensions sont indexées sur l’inflation et non sur les salaires. Cependant, ces derniers évoluent généralement plus vite que les prix. Les pensions futures auront donc de toute façon tendance à diminuer par rapport aux salaires des actifs”.
Concrètement, étant donné que les salaires augmentent plus vite que les prix, même si l’inflation qu’a connue l’année 2022 est un mauvais exemple, les retraités finiront par toucher des pensions plus faibles. Les dépenses publiques diminueront donc de facto. “Ce qu’on exclut (…), c’est de baisser le montant des retraites”, a avoué Elisabeth Borne lors de la conférence de presse du 10 janvier. Certains économistes haussent cependant la voix pour que “les pensions les plus élevées soient mises à contribution”, rapporte le journal Le Monde.
Un troisième levier consiste à augmenter les cotisations retraite pour les salariés. Selon Aurel Mélard, “les taux de cotisation retraite en France sont déjà parmi les plus hauts de l’OCDE”, et ce choix pourrait “peser sur le pouvoir d’achat des salariés, en particulier aujourd’hui, en période de forte inflation”. Il existe donc bel et bien d’autres mesures possibles, autres qu’un report de l’âge légal de départ à la retraite, afin de combler le déficit qui arrive. Le syndicat Force Ouvrière propose par exemple de “revenir sur les 150 milliards d’exonérations de cotisations sociales faites aux employeurs”.
Jean Rémond
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Merci pour la clareté de vos graphiques , je suis né en 1966 j’ai bien compris ce qui m’attend avec la nouvelle réforme ….