Après les résultats en Suède et en Italie, quatre questions sur la montée de l’extrême droite en Europe

Malgré la lutte de certains, les urnes ont élu dans plusieurs pays européens des partis de droite radicale. Retour en 4 questions sur un phénomène qui semble prendre de l’ampleur en Europe.

Giorgia Meloni, la nouvelle Première ministre italienne, lors d’un meeting de campagne en 2022. Photo : giorgiameloni.it

Giorgia Meloni, la nouvelle Première ministre italienne, lors d’un meeting de campagne en 2022. Photo : giorgiameloni.it

Certains l’attendaient comme d’autres le craignaient. Dans la nuit du 25 au 26 septembre, l’annonce de l’arrivée au pouvoir du parti Fratelli d’Italia dirigé par Giorgia Meloni, en tête parmi la coalition de droite en Italie, a montré qu’un parti post-fasciste pouvait accéder au pouvoir, malgré le traumatisme de Mussolini au milieu du XXème siècle. 

Beaucoup voient d’un mauvais œil la progression de plus en plus rapide de partis de droite radicale lors des différents scrutins. C’est le cas en Suède, en Hongrie, en Pologne et désormais en Italie, mais aussi en France, en Espagne et en Finlande. Les formations d’extrême droite gagnent en force au fur et à mesure des différentes élections.

Mais à quoi faut-il s’attendre à l’avenir, autant pour les pays dirigés par cette idéologie que pour les futurs scrutins dans les autres pays ? Comment vivent les habitants de ces pays ? L’Union européenne va-t-elle être affectée ? Éléments de réponse.

  1. Comment peut-on expliquer l’essor de l’extrême droite au pouvoir en Europe ?

Ce lundi 26 septembre marque certainement un tournant dans la vie politique européenne. Pour la première fois, l’un des membres fondateurs de l’Union européenne bascule à l’extrême droite. Une surprise certes, mais la situation n’est pas si nouvelle. En effet, on peut observer en Europe un virage de plus en plus important vers l’extrême droite. En 2018 par exemple, seuls neuf pays avaient recensé plus de 10 % d’adhésion à un parti d’extrême droite, aux précédentes élections. Le chiffre est actuellement en nette augmentation avec près de quinze pays dans cette situation. Aujourd’hui, six pays européens ont un gouvernement dirigé par l’extrême droite ou de coalition avec l’extrême droite. Pour y voir plus clair, voici un comparatif de l’extrême droite en Europe, entre 2018 et 2022.

Les causes de cette ascension sont multiples. L’une d’entre elles, c’est l’abstention. "L’alternance des gauches est des droites n’est pas dû à un renversement politique des votants, mais à la capacité de mobilisation des parties", explique à L'Effervescent Gilles Richard, professeur émérite d'histoire contemporaine et président de la Société française d'histoire politique. "Quand les droites l’emportent, c’est que les gauches n’ont pas assez mobilisé, donc que l'abstentionnisme a grandi à gauche." Et c’est notamment le cas de la situation italienne. En effet, le taux de participation à ce suffrage était au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale, avec 63,91 % des voix. Un éclatement des partis traditionnels est aussi constaté. Par rapport à 2018, la Ligue et Forza Italia voient leurs suffrages divisés de moitié et le Mouvement 5 Étoiles par 2,5, alors que Frères d’Italie multiplie par 5 son nombre de voix. Un basculement inédit.

David Cayla, professeur d’économie à l’université d’Angers, met en avant sur Twitter une autre cause de cette ascension des droites radicale, la situation économique du pays. L'Italie est l'une des économies qui a le plus "souffert des effets du marché unique et de l'euro", selon lui. 

"L'unification économique de l'Europe engendre des effets de spécialisation économique qui expliquent largement les pré-tensions sociales actuelles, poursuit le chercheur. L'Europe du centre développée (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Belgique) concentre les activités à haute valeur ajoutée et attire les ingénieurs. L'Europe du centre-est (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) se prolétarise en attirant les industries intensives en main d’œuvre ouvrière." 

"L'Europe périphérique développée s'appauvrit ou se spécialise dans les services et le tourisme". - David Cayla, professeur d’économie

Un argument économique partagé par Gilles Richard. "L’union européenne déstabilise et déstructure le cadre des états nations, qui était le cadre dans lequel se sont construits les régimes politiques et les peuples depuis le 19ème siècle. Plus largement, la mondialisation contribue elle aussi à déstabiliser les nations dans lesquelles les économies ont été construites."

  1. Est-ce que l’Union européenne peut être bousculée ?

Plusieurs partis de l’extrême droite en Europe étaient auparavant en faveur d’une sortie de l’Union européenne (l’UE). C’était le cas avec les Frères d'Italie, les Démocrates de Suède et Marine Le Pen en France, qui ont tous changé d’avis. Ils ne souhaitent plus quitter l’union, tout en restant hostiles envers le supranationalisme. 

"Ne laissez pas Bruxelles faire ce dont Rome peut s'occuper au mieux, et ne laissez pas Rome s'occuper seul de ce que Rome ne peut pas résoudre par lui-même. " - Giorgia Meloni, lors d’un discours à Milan le 11 septembre

Depuis le chaos du "Brexit", une sortie de l’UE s'avère de moins en moins rentable. Donc, il y a peu de probabilité pour un " Italexit " ou un "Suédexit". Dans le cas de l’Italie, elle dépend trop de la solidarité de l’union. Endettée à 150% de son PIB, elle est la première bénéficiaire du plan de relance européen.

L’extrême droite accuse l’UE d’être trop bureaucrate et de mettre ses propres intérêts avant ceux des pays membres. Elle souhaite que le droit national soit supérieur au droit communautaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. De plus, elle prône l’extension de la subsidiarité ; le principe qui laisse un maximum de pouvoirs aux États membres. Quant à l’intégration européenne, le fait d’inclure de plus en plus de pays dans l’union, l’extrême droite s’y oppose. Même si les pays gouvernés par l’extrême droite restent dans l’UE, il est donc possible que les fondements de l’organisation soient remis en question.

En outre, la politique européenne pourrait être bousculée sur certains sujets tels que les droits humains ou l’avortement. En Pologne, le parti populiste Droit et justice, au pouvoir depuis 2015, a interdit l’avortement sauf cas particulier. A l'inverse, il y a quelques mois, le Parlement européen a voté en faveur d’une intégration du droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l'UE. Le souci ? C’est le Conseil européen qui détient le pouvoir de modifier cette charte. Au sein du Conseil, chaque pays membre dispose du droit de veto. La Pologne peut ainsi bloquer l’inscription.

  1. Qu’est-ce qui pousse à voter pour l’extrême droite ?

Les raisons d'un vote d’extrême droite sont différentes pour chaque pays. En Italie, « ils n’ont jamais réglé la question du fascisme », estime Gilles Richard, professeur émérite d'histoire contemporaine. Quant à la Suède, c’est plutôt des inégalités sociales croissantes qui poussent. Gilles Richard explique que l’État social a été déstabilisé en Suède.

«  L’insécurité est d’abord un problème social. » - Gilles Richard, professeur d'histoire

« Nos plus grands problèmes en Suède sont l’intégration et la criminalité », dit à l’Effervescent Erik Pehrsson, 33 ans, qui vote pour les Démocrates suédois depuis 2006. « Il n’y a pas d’autres partis qui prennent ces questions au sérieux. » Aujourd’hui, il trouve qu’un vote pour l’extrême droite est moins tabou qu’à l’époque. « J’ai perdu des amis… Quand je disais aux gens en 2006 que j’avais voté pour les Démocrates suédois, c’était comme si j’étais nazi. » Entre 2008 et 2015, le pays, qui compte 10 millions d’habitants aujourd’hui, était l’un des quatre États européens à recevoir le plus de demandeurs d’asile. « Dans ce contexte, vouloir limiter l’immigration n’est pas la même chose que de gazer les Juifs, lâche Erik Pehrsson avec une voix ferme et calme. C’est un argument de simplification pour les gens qui ne veulent pas discuter de l’immigration. »

Le royaume scandinave a accueilli plus de 200 000 immigrés depuis 2000 selon l’autorité de la statistique. En 2021, un cinquième de la population était né à l’étranger. Erik Pehrsson reproche à son pays d'avoir laissé entrer trop d’immigrés sans être en mesure de les intégrer. « De plus, nous avons reçu des gens issus de cultures très différentes de la nôtre. Ce ne serait pas la même chose si les immigrés étaient des Danois, par exemple. »

Par ailleurs, il évoque des problèmes de sécurité dans son pays. En 2022, 48 personnes ont été tuées en Suède par des fusillades jusqu’au 30 septembre. Erik Pehrsson est excédé. Pour le jeune homme, « le plus important est que les gens ne tirent pas. C’est plus important que de payer moins d’impôts. Je serais prêt à voter pour un parti qui m’oppose dans toutes les questions, tant qu’il aborde les questions de l’intégration et de la criminalité. »

« Mais 48 personnes tuées, c’est rien du tout dans un pays de 10 millions d’habitants ! Combien de gens meurent dans des accidents de la route ? Combien se suicident ? », s'exclame Gilles Richard. Il précise que ce sont 48 personnes de trop, mais « passer de 24 à 48 quand on est 10 millions, ce n’est pas beaucoup plus. Il faut quand même regarder les proportions ». Le spécialiste de l’histoire politique souligne que « l’insécurité est une construction politique » ; que les politiciens mettent en avant les assassinats plutôt que les fuites des capitaux dans les paradis fiscaux, par exemple. Et bien qu’un certain nombre d’immigrés soit impliqué dans la criminalité, ils ne sont pas forcément surreprésentés, selon le chercheur.

  1. Peut-on voir ce phénomène arriver en France ?

Posons un œil sur l’Hexagone : qui pourrait faire basculer la France sous l’étendard de l’extrême droite ? Le scénario le plus imaginé est en général celui du Rassemblement National (RN) avec Marine Le Pen. Sa stratégie de dédiabolisation, même stratégie que celle de Giorgia Meloni pour remporter le scrutin en Italie, a fait profondément changer la réaction de ses opposants. En 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen accède pour la première fois au second tour de l’élection présidentielle, environ 500 000 personnes sont dans la rue, à Paris, le 1er mai pour faire entendre leur colère. En 2022, après l’arrivée une deuxième fois au second tour de l’élection présidentielle, la fille de Jean-Marie Le Pen n’a fait rassembler dans les rues de Paris (que) 9 200 personnes, selon la police. Gilles Richard, professeur émérite d'histoire contemporaine, confirme que le RN est en ascension et que ses adversaires sont en déclin. La véritable menace pour le RN serait celle de la Nupes, la  coalition de gauche. « Si elle se transforme en véritable alliance politique et se concrétise, il y a une chance qu’elle empêche le RN », dit l’universitaire.

Cependant, rien n’est garanti pour le Rassemblement National en 2027. Bien que le scrutin des législatives leur ait été favorable avec 88 députés sur 577, rien n’assure que le nom Le Pen soit de nouveau imprimé sur les bulletins de vote. Après trois participations à la présidentielle qui se sont toutes soldées par un échec, le RN se cherche. Jordan Bardella vient d’être élu nouveau président du RN. Selon Gilles Richard, le passage du relais pourrait être bénéfique pour le RN : « Cela montre qu’il y a autre chose que Le Pen. Le fait que Jordan Bardella soit jeune rompt avec les origines du parti. »

Il est difficile d’entrevoir l’avenir. En cinq ans, la politique française peut changer au point d’être méconnaissable à l’arrivée. Et il n’est pas exclu qu’un parti nouvellement créé arrive à monter en flèche, à la manière d’En Marche ! en 2017. Ou bien même à l'image de l’arrivée d’Éric Zemmour dans le paysage politique malgré un résultat final en deçà de ses espérances et des premières enquêtes d’opinion. De nouveaux partis d’extrême droite peuvent émerger dans la vie politique française, malgré les résultats parfois faibles à leurs débuts. Ne pas prendre cette hypothèse en considération serait oublier que trente ans séparent la création du Front National et sa première victoire au premier tour.

Johanna Sahlberg, Hugo Cleenewerck, Julien Poireau



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