PORTRAIT. Qui est Yvon Chouinard, le patron de Patagonia, qui lègue un espoir pour l’écologie ?

Le 14 septembre 2022, le fondateur de la marque de Patagonia a annoncé léguer toutes les parts de son entreprise à une ONG. Une carrière consacrée à l’environnement, qui termine en apothéose. 

La célèbre marque Patagonia vient d’être cédée à une ONG, un véritable espoir pour le futur. Photo : Pixabay

La célèbre marque Patagonia vient d’être cédée à une ONG, un véritable espoir pour le futur. Photo : Pixabay

Le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard aurait pu vendre son entreprise, valorisée à plus de trois milliards de dollars selon le New York Times, il aurait également pu envisager de la faire entrer en bourse. Mais non, l’homme âgé de 83 ans a décidé de léguer sa marque à une ONG. Celle-ci percevra chaque année les dividendes de l’entreprise californienne pour les investir dans la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la planète. Un geste aussi fort qu’inédit qui met sur le devant de la scène, des possibilités jusqu’à présent très peu vu dans la lutte pour la préservation des écosystèmes et de la température.  

Un homme dévoué et passionné

Il n’est pas commun de voir de telles actions d’un point de vue économique, léguer son entreprise à une ONG dans l’unique but d’agir pour l’environnement ne s’est jamais encore fait, en tout cas pas à cette échelle. En accord avec sa famille, Yvon Chouinard décide de donner 100% de ses parts à un trust, c’est-à-dire qu’il va confier le contrôle de son entreprise à plusieurs institutions qui auront pour mission de faire respecter les valeurs que le fondateur américain a toujours défendu. Certains membres de la famille feront partie de ce trust en supervisant le conseil d’administration. Une association environnementale récupère l’ensemble des profits générés par la marque que l’on évalue à 100 millions d’euros chaque année. 

L’Histoire d’Yvon Chouinard est celle d’un patron engagé dès son plus jeune âge. Passionné d’escalade, il prend la décision à 19 ans de construire lui-même son matériel d’escalade. Il juge en effet que la qualité des pitons (cette pièce sert à percer un trou qui servent de point d’ancrage pour les escaladeurs) qu’il utilise n’est pas assez bonne. C’est comme cela que naît sa marque Patagonia. Au départ, il se concentre sur la fabrication de pitons et de mousquetons réutilisables, qu’il vend dans le coffre de sa voiture. Ce n’est qu’en 1965 soit huit ans après la création de sa marque qu’il s’associe avec un grimpeur et ingénieur en aéronautique que la firme commence sa fabrication industrielle. 

Une stratégie surprenante

En 2011, la marque Patagonia fait à nouveau parler d’elle. Elle diffuse dans les pages du New York Times au moment de la fête de Thanksgiving, traditionnel coup d’envoi des achats de Noël au USA, une publicité d’une de ses vestes d’hiver avec la mention : « N’achetez pas cette veste ». A travers cette campagne publicitaire étonnante, la firme californienne souhaite alors alerter et lutter contre la surconsommation. Elle invite donc les potentiels acheteurs à passer leur chemin s’ils ont déjà de quoi se couvrir. 

A l’époque Vincent Stanley, alors responsable du marketing mais également petit fils d’Yvon Chouinard, explique que la campagne de Patagonia s’inscrit dans une réflexion autour de la création d’une « nouvelle manière de mesurer le succès économique, afin qu’il ne repose plus sur la vente d’un nombre sans cesse croissant de biens et de services ». Les objectifs de Patagonia sont alors économiques bien entendu mais également écologiques.

Une image quasi parfaite

En 1986, il décide de reverser 10% dans un premier temps puis 1% des bénéfices de Patagonia à des associations et des fondations pour la nature. Si cette mesure peut avoir des airs de coup marketing voire même de greenwashing, la marque californienne lutte activement pour la préservation de la biodiversité à travers plusieurs campagnes de sensibilisation. La preuve par exemple en 1992, à la suite d’une étude sur l’impact écologique des produits de la marque, Patagonia décide de n’utiliser que du coton écologique et biologique. 

Patagonia s’ établit alors comme « la marque de vêtements écolos ». Elle est toutefois pointée du doigt en 2012 par l’association internationale de protection animale « Four Paws ». Cette dernière accuse la marque de vêtements californienne d’utiliser des plumes d’oies plumées à vif et provenant de l’industrie du foie gras dans ses duvets. 

L’entreprise dément alors complètement utiliser des oies plumées à vif mais reconnaît avoir acheté des plumes d’oies de gavage. L’année suivante, la compagnie explique sur son site avoir maintenant recours à « une filière duvet contrôlée et garantie non-issue d’oies plumées à vif ou gavées ». 

Frise chronologique des événements importants dans l’histoire de la marque californienne. Infographie : César Moumaneix

Frise chronologique des événements importants dans l’histoire de la marque californienne. Infographie : César Moumaneix

Cette affaire n’a pas pour autant entaché la marque qui garde toujours cette image de firme respectueuse de l’environnement, et c’est en grande partie grâce à son fondateur. 

Défendre la cause environnementale

A 83 ans, Yvon Chouinard n’abandonnera pas le combat pour lequel il se bat depuis un demi-siècle à travers sa marque. Ce choix de léguer l’entièreté de son entreprise n’est alors pas une très grande surprise. 

« Une des options était de vendre Patagonia et de donner l’intégralité de l’argent généré par la vente. Plutôt que de faire notre entrée en bourse nous avons décidé d’appliquer à la lettre notre mission d’entreprise. Plutôt que d’extraire des matériaux naturels afin d’enrichir nos investisseurs, nous utiliserons la richesse créée par Patagonia pour protéger la source de toute cette richesse. » – Yvon Chouinard, dans une lettre ouverte.  

A la différence d’un don brut de plusieurs millions d’euros, cette initiative s’installe sur le long terme. Patagonia va continuer son activité économique, à payer ses salariés et le reste des bénéfices iront directement à l’ONG Holdfast Collective qui pourra élargir ses actions. 

Entreprendre pour la planète

Un engagement majeur : l’écologie. Pour Patagonia, les préoccupations sont les mêmes depuis sa création. Le développement durable est une véritable marque de fabrique pour l’entreprise. En tant que passionné d’escalade et avide d’aventure, Yvon Chouinard tenait à respecter l’environnement qui lui servait de terrain de jeu. Depuis 50 ans, ses intentions n’ont pas changé. Aujourd’hui Patagonia est une entreprise pionnière dans le domaine de l’’écologie. 

« We are in business to save our home planet » traduit par “nous existons pour sauver notre planète”, est un slogan représentatif de la marque américaine, qui définit bel et bien les objectifs du créateur. Très vite, Patagonia a développé une conscience écologique et éthique à propos de l’impact écologique et sociétal de leurs produits. Pour cette entreprise, hors de question que le textile produit nuise à l’environnement qui nous entoure. D’autant plus que l’industrie de la mode est la deuxième source de pollution mondiale et étonnamment la fabrication de vêtements est plus polluante que les transports. Ce qu’appuie Arnaud Leroy, président de l’Ademe, à France Inter, “ l’habillement c’est le deuxième émetteur de GES derrière le pétrole”.

Les conséquences de la fabrication de textile. Infographie : Démarches administratives

Les conséquences de la fabrication de textile. Infographie : Démarches administratives

 Une grande partie des vêtements achetés aujourd’hui est souvent composée de nylon et de polyester. Mais peu de personnes savent d’où proviennent ces matières pourtant issues de produits dérivés du pétrole. Lors de sa fabrication, le polyester est façonné et traité avec de nombreux éléments chimiques dangereux. La production de ses matières participe donc activement au réchauffement climatique. Pour lutter contre l’utilisation massive de ce type de matière, dans l’entreprise californienne, chaque matériel utilisé est consciencieusement choisi et afin de réduire l’exploitation environnementale, il a été décidé des fibres recyclées à partir de déchets produits par les usines lors de différentes étapes de production des produits de la marque californienne ; ou encore d’utiliser leurs propres déchets tels que des bouteilles en plastique. Limiter la culture de nouvelle matière première est effectivement un premier pas pour restreindre l’émission de carbone pour l’entreprise.

Atténuer la surconsommation

La société contemporaine dans laquelle nous vivons est souvent qualifiée de « société de surconsommation », plusieurs raisons peuvent appuyer cette qualification. Le nombre de tonnes de vêtements produits chaque année est par exemple exorbitant. Selon des chiffres tirés d’un documentaire France 5 et dont Europe 1 a tiré l’essentiel, dans la moyenne des pays européens les plus riches chaque personne achète 20 kg de vêtements par an. Pour mieux visualiser, à l’échelle de la France, les Français achètent 700 000 tonnes de textiles par an. Des chiffres qui sont tout de même en recul selon des statistiques de Planétoscope. Mais cette surconsommation ne risque pas de se réduire notamment avec la montée de la « fast fashion ».

Ce phénomène se caractérise par le renouvellement rapide des vêtements proposés à la vente. Les marques produisent alors massivement et très rapidement de nouveaux produits et souvent pour un petit prix. Cette production rapide pousse les populations à acheter davantage, d’autant plus qu’aujourd’hui, suivre les tendances est devenu une priorité pour beaucoup. Afin d’être « à la page » chaque personne est tentée d’acheter de nouveaux vêtements sans en avoir réellement la nécessité. L’organisation mondiale du commerce a révélé que sur la période 2002-2022, les exportations d’habillement avait vu leur chiffre d’affaires croître de 204 à 449 milliards de dollars, soit une multiplication par plus de deux en vingt. La décennie 2010 montre cependant quelques signes de ralentissement de cette croissance. 

C’est sur ce point que Patagonia a décidé d’agir différemment et de lutter contre cette surconsommation. Pour cela, l’entreprise s’appuie sur la règle des « 4 R » : réduire, réparer, réutiliser et enfin recycler. 

Cette règle fait de la marque californienne, une entreprise responsable. En quelques chiffres, selon un article de youmatter,  plus de 26 000 produits ont été réparés par l’entreprise depuis 2012, plus de 41 000 pièces de seconde main ont été vendues et enfin 56,6 tonnes de vêtements et équipements usagés ont été recyclés depuis juillet 2005. Recycler est pour Patagonia une solution face à la surconsommation qui impacte de plus en plus l’environnement, même s’ ils ont tout de même conscience que ce n’est pas la solution miracle au dérèglement climatique. 

Afin d’inciter les clients à garder leurs vêtements plus longtemps, Patagonia a imaginé un module appelé «Worn Wear » disponible sur leur site internet. Le but ? Accompagner les clients à réparer leurs articles usés. « Le mieux qu’on puisse faire pour cette planète c’est d’utiliser plus longtemps ce que nous possédons déjà, et ainsi réduire la consommation », explique la marque sur son site. « Comment redonner un coup de neuf à votre pull ? » 

« Comment recoudre un bouton ? » ou encore « comment réparer votre curseur de fermeture éclair ? », de nombreux tutoriels sont disponibles pour aider les clients. Patagonia n’a pas peur de s’engager et souhaite créer des vêtements qui durent toute une vie. L’entreprise californienne se fixe désormais un nouvel objectif : atteindre la neutralité carbone d’ici à 2025.

Chahrazed Boudani, Yanis Duval et César Moumaneix



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