Le revenge porn, un fléau grandissant

Lors d’une soirée spéciale, mercredi 30 mars, France télévisions s’est mobilisé dans la lutte contre le harcèlement et a pointé du doigt le phénomène de la pornodivulgation. Acte de plus en plus répandu dans la société, le “revenge porn” se montre dangereux. Zoom sur un phénomène grandissant, massif et systémique. 

En France, en 2021, 4 personnes sur 10 sont victimes de revenge porn, d’après l’Ipsos. Crédits : iStock by Getty Images / AntonioGuillem

En France, en 2021, 4 personnes sur 10 sont victimes de revenge porn, d’après l’Ipsos. Crédits : iStock by Getty Images / AntonioGuillem

Le revenge porn ou encore la vengeance pornographique est un acte de cyberharcèlement qui consiste à publier du contenu à caractère sexuel d’une personne, sans son consentement, avec le but est de se venger ou d’humilier. Si le fait de réaliser des images intimes peut refléter un jeu de séduction entre deux personnes, sa diffusion est interdite. Le contenu de la vidéo ou de l’image peut d’ailleurs être capturé avec ou sans l’accord de la personne concernée. Le revenge porn est souvent le résultat d’une séparation amoureuse mal vécue par l’une des deux parties. 

Apparu dans les années 80, via le magazine américain Hustler Beaver Hunt, dans lequel était publié des photographies nues des mannequins prisent à leur insu, le revenge porn ne date donc pas d’hier. Mais, pourtant, c’est lors du premier confinement que de nombreux comptes ont commencé à publier des photos de jeunes femmes dénudées. En 2020, le nombre de personnes victimes de vengeance pronographique a grimpé en flèche comparé aux années précédentes. L’association E-enfance, spécialisée dans le cyberharcèlement, a comptabilisé une hausse de 57% sur sa ligne d’assistance Net Ecoute (plateforme de protection des mineurs et d’aide à la parentalité numérique). 

“Cela commence souvent chez les couples d’ados, qui, en période de confinement, s’échangent plus de contenu à caractère sexuel car ils sont loin l’un de l’autre”, explique Kate Isaacs, fondatrice de la campagne #NotYourPorn qui lutte contre la diffusion de revenge porn déclare au magazine Grazia  “C’est une expression actuelle de leur sexualité.” Lors de cette période, le collectif Stop Fisha créé par une étudiante, Lisa, et une avocate au barreau de Paris, Rachel Flore-Pardo, a pour but d’alerter les individus sur cette malheureuse pratique et de se battre pour que les comptes soient supprimés. En octobre 2021, le collectif a même publié un livre, intitulé Combattre le cybersexisme, toujours dans le but de sensibiliser et de libérer la parole sur ce sujet. 

Caractère systémique

D’après une étude de l’institut Ipsos en collaboration avec l’association Féministes contre le cyberharcèlement, publiée en novembre 2021, 41% des personnes interrogées déclarent avoir été victime de cyberharcèlement et 31% admettent en avoir commis. Même si, tout le monde est touché par ces violences en ligne, les jeunes restent tout de même les plus touchés par ce phénomène. “On remarque que ça touche davantage des jeunes filles mineures, des collégiennes, des lycéennes”, affirme Shanley, l’une des membres de l’association au magazine Biba. 

Source : enquête d’Ipsos pour l’association Féministes contre le cyberharcèlement, novembre 2021.

L’étude met en lumière la non-connaissance des étapes à suivre lorsqu’on est victime ou à qui s’adresser pour faire face à cette situation. Pas moins de 65% des Français pensent aussi que les réseaux sociaux n’en font pas assez pour lutter contre les actes de harcèlement en ligne. Et 58% des signalements n’ont obtenu aucune réponse jugée satisfaisante, voire pas de réponse du tout, selon les personnes interrogées. Entre les filles jugées de mauvaise réputation et les garçons qui apparaissent comme frustrés, ce phénomène accentue les stéréotypes de genre. 

La planète people concernée

Le revenge porn ne concerne pas seulement des victimes anonymes, il concerne aussi le milieu people. Le phénomène s’est invité dans les institutions politiques avec le cas de l’affaire Benjamin Griveaux. Candidat LREM à la mairie de Paris, en 2020, Benjamin Griveaux a dû renoncer à sa candidature après la divulgation d’une vidéo et des captures de messages à caractère sexuel qui étaient adressés à Alexandra de Taddeo, une femme avec laquelle il avait eu une liaison. Dans un documentaire intitulé Cinq ans, réalisé par Raphaëlle Baillot et Jérôme Bermyn, l’ancien candidat est revenu sur cet épisode : “Je sais immédiatement que pour moi la campagne s’arrête. Je ne l’annonce pas d’ores et déjà, mais il est évident que je ne pourrais pas continuer à porter une candidature.” 

Mais ce n’est pas la seule personnalité publique victime de revanche pornographique. Il y a eu, par exemple, Pamela Anderson en 1995, Rihanna en 2009, Kim Kardashian en 2007 ou encore Laure Manaudou en 2007. Sur le plan médiatique, la question de la porno divulgation a été soulevée dans l’enquête sur la mort de la collégienne de 14 ans, Alisha, noyée à Argenteuil. Début avril, les deux adolescents jugés pour le meurtre de Alisha ont été condamnés à dix ans de prison. La jeune fille avait été victime de vengeance pornographique. Des photos intimes d’elle avaient été diffusées, sans son accord, sur le réseau social Snapchat. 

De son écran de téléphone à son écran TV

Pour sensibiliser face à ce phénomène massif, nombreuses sont les œuvres qui ont décidé d’aborder frontalement le sujet de la pornodivulgation. Mercredi 30 mars, pendant une soirée spéciale, France Télévisions s’est mobilisé contre le cyberharcèlement et plus précisément contre le revenge porn. La soirée a commencé par la diffusion du long métrage Mise à nu, une fiction réaliste qui fait froid dans le dos. Inspiré de faits réels, le téléfilm raconte l’histoire de Sophie (Julie de Bona) victime d’une vengeance de son ex petit-ami, Vincent Marsac (Julien Boisselier). Mise à nu explore les différentes étapes par lesquelles une victime passe lorsque des photos intimes d’elle sont postées sur les réseaux sociaux. Elle met en lumière les ressentis de la victime et le calvaire que cette dernière peut vivre. 

La soirée s’est poursuivie avec la diffusion du documentaire Ennemi  Intime dans l’émission Infrarouge. La parole est donnée à Charlotte, Samira, David, Maëlle et Sophia, toutes et tous, victimes de vengeance pornographique. Avec un nombre limité d’associations luttant contre le revenge porn, il était difficile pour Marie-Christine Gambart, la réalisatrice et co-auteur de ce documentaire avec Emilie Grall de trouver des victimes. On nous a orienté vers des avocates, qui nous ont elles-mêmes orienté vers des personnes qu’il a fallu contacter et convaincre de revenir devant une caméra, cette fois pour restaurer une forme de dignité abîmée“, explique Marie-Christine Gambart, au micro de Europe 1

La série H24, diffusée sur Arte, avait pour but de dénoncer les violences faites aux femmes. Le premier épisode est intitulé “revenge porn”, comme son nom l’indique, l’épisode pointe du doigt le suicide d’une jeune adolescente après qu’une vidéo intime d’elle a été partagée sur les réseaux sociaux. En 2021, Francetv Slash a produit la série documentaire Revenge. Le documentaire est coupé en cinq épisodes de douze minutes chacun, où plusieurs problématiques y sont abordées comme le piège, le harcèlement, la riposte, la justice et le fisher (personnes se regroupant sur des groupes privés pour partager les nudes qu’ils ont reçu ou la personne qui publie les clichés intimes des victimes sur les réseaux sociaux). 

Le documentaire met aussi en lumière le manque de moyens pour lutter contre ce fléau. En 2009, le gouvernement a mis en place une plateforme nommée Pharos. Elle permet de regrouper les signalements illicites en ligne sur une et même plateforme. Malheureusement, elle n’arrive pas à suivre le nombre de messages des victimes et n’empêche donc pas les divers actes de malveillance. D’autant plus, qu’il est très difficile de maîtriser les réseaux sociaux et d’avoir la main mise sur ce qu’il s’y passe. En France, la liste est longue des œuvres pointant du doigt ce phénomène, il est possible de citer la série Girls Squad de Francetv slash ou encore le court-métrage Les impunis de Marion Séclin. En 2021, Arte a aussi diffusé un documentaire intitulé #Sale Pute. Il met en lumière une enquête réalisée par deux journalistes belges Myriam Leroy et Florence Hainaut, elles-mêmes victimes de revenge porn. 

Les séries étrangères se sont aussi lancées dans cette sensibilisation. En 2017, la série 13 reasons why, diffusée sur la plateforme Netflix, pointe du doigt le harcèlement scolaire sous toutes ses formes. On y voit Hannah Baker, l’une des protagonistes principales de la saison, être victime de revenge porn. Après qu’une photo de la lycéenne a tourné dans toute l’école, l’adolescente a été victime de slut-shaming (le fait d’être jugée pour cette photo). Delete Me, série norvégienne sortie en 2021 et disponible sur Canal Plus dénonce aussi le revenge porn. La série s’est lancée dans une réalisation audacieuse en commençant l’histoire par la fin. Lors d’une fête de fin d’année, Marion se retrouve dans une relation sexuelle à trois immortalisée par une vidéo diffusée ensuite sur Internet. Séries, films, documentaires et même des livres permettent de sensibiliser, d’alerter et de lutter contre ce fléau grandissant.

Agir mais pourquoi ?

Depuis 2016, le revenge porn est puni par la loi. L’atteinte volontaire à la vie privée et à l’intimité était déjà punissable par le code pénal mais un nouvel article y a été ajouté consacré au numérique. L’accusé peut encourir jusqu’à deux ans de prison et 60 000 euros d’amendes. Même si la personne donne son accord lors de la prise d’image, le simple fait qu’elle soit diffusée sans son consentement est un délit. Si la victime est mineure, l’accusé peut encourir jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amendes. Même si la loi condamne ces actes, 47% des plaintes déposées n’ont pas donné lieu à des poursuites judiciaires et 67% des personnes qui ont fait la démarche se sont vu refuser le dépôt, d’après l’enquête d’Ipsos. 

Malgré la loi, un autre problème est soulevé, celui de l’identité de la personne. Pour punir l’agresseur encore faut-il pouvoir l’identifier. D’autant plus que les détenteurs de ces photos peuvent très facilement changer de compte, de noms, voire même de plateforme. Et si le phénomène est aujourd’hui mieux apprivoisé par les autorités, il ne demeure pas moins invisibilisé et parfois négligé. 

Dès lors qu’un contenu est publié sur les réseaux sociaux, il est difficile d’arrêter la machine déjà bien enclenchée. Malgré tout, les plateformes et le gouvernement se mobilisent pour supprimer les contenus, lorsqu’ils sont signalés. Mais que faire quand on est victime de pornodivulgation ? En avril 2021, le ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports a réalisé une infographie présentant divers conseils à connaître pour faire face à une situation de cyberharcèlement. L’Effervescent récapitule les étapes à suivre en tant que victime pour faire face aux situations de pornodivulgation. 

En mars 2021, la police nationale avait lancé une campagne de sensibilisation contre “le sexting”, intitulée “il a bien reçu ton nude”. Comme son nom l’indique, le sexting est le fait d’envoyer des photos intimes de soi-même à une autre personne.  Partant d’une bonne intention, la campagne a finalement été perçue comme inadaptée et culpabilisante pour les victimes. Les internautes se sont très vite indignés et ont dénoncé une volonté de culpabiliser les victimes et de “donner des leçons”. L’association SOS Homophobie a tout de suite répondu à la police sur Twitter. “Ce n’est pas aux victimes de culpabiliser, les fautifs et fautives sont les personnes qui partagent ces contenus privés aux autres”, déclare le tweet. 

Suite aux nombreux messages d’incompréhension, le tweet a très vite été supprimé. Photo : Capture d'écran Twitter / Police nationale

Suite aux nombreux messages d’incompréhension, le tweet a très vite été supprimé. Photo : Capture d’écran Twitter / Police nationale

Malgré une visibilité de plus en plus forte de ce phénomène croissant, il ne reste pas moins mal pris en compte par les autorités. 

Eva Thomas


Si vous êtes victimes de revenge porn, vous pouvez appeler le numéro vert, “non au harcèlement” au 3020 ou le numéro Net Écoute au 3018



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