Afghanistan : six mois après la prise de pouvoir des talibans, où en est-on ?

Depuis leur arrivée au pouvoir plus que controversée, les talibans ont progressivement resserré leur emprise sur le peuple afghan, n’hésitant pas à user de la violence et à bafouer toute forme de liberté.

Des talibans défilent dans les rues de Kaboul sur un véhicule américain encouragé par les résidents, le 15 août 2021. ANDREW QUILTY / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

Des talibans défilent dans les rues de Kaboul sur un véhicule américain encouragé par les résidents, le 15 août 2021. ANDREW QUILTY / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

Six mois que les talibans ont pris le pouvoir, et qu’en est-il de ces promesses de “gouvernement plus inclusif”, du respect de la liberté d’expression, du droit des femmes ou encore de la liberté des artistes ? Depuis leur arrivée dans la capitale afghane de Kaboul, le dimanche 15 août, les talibans se montrent  rassurants vis-à-vis de la communauté internationale quant à leurs intentions. Leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, est même allé jusqu’à déclarer à l’AFP que les islamistes avaient appris de leur premier exercice du pouvoir et qu’il y aurait de “nombreuses différences” dans leur manière de gouverner, qui serait plus “mature”.

Les paroles ne concordent pas trop avec les actes des nouvelles figures du pouvoir afghan. Il était dès le départ difficile d’être optimiste à propos d’une éventuelle évolution de la doctrine fondamentaliste au vu des similitudes du gouvernement actuel par rapport à celui de ses prédécesseurs. En effet, certaines figures de proue de ce nouveau cabinet sont des piliers de ce qu’a pu être le régime à l’époque. Un cabinet qui est par ailleurs composé uniquement d’hommes… Un choix surprenant venant d’un groupe prônant un “régime inclusif” que ce soit par rapport aux autres ethnies mais aussi au niveau de la condition des femmes dans cette nouvelle société. On prend les mêmes et on recommence. 

Infographie : Marie-Lys Pariot.

Infographie : Marie-Lys Pariot.

Les maîtres talibans ont gentiment patienté de ne plus être sous le feu des projecteurs pour faire passer une à une de nouvelles lois, toujours plus fermes et liberticides surtout pour les femmes et les minorités pour encore et toujours resserrer leur emprise sur le pays. Mais ce, toujours dans le but d’appliquer la charia. Cette doctrine religieuse qui signifie dans l’Islam le « chemin pour respecter la loi [de Dieu] ». Le retour de la charia, c’est exactement ce que craignaient tous ces Afghans qui étaient prêts à s’accrocher au péril de leur vie à des avions quittant le pays. Quelques mois auront suffi à prouver que toutes ces craintes légitimes n’étaient pas le fruit de la paranoïa. 

Un régime liberticide

Depuis 5 mois la situation s’est largement aggravée. Ainsi, les violences réprimandant par la force les manifestations jugée illégale lorsque ces dernières vont à l’encontre du pouvoir en place étaient au début monnaie courante de ce qu’a pu communiquer la presse locale. Des journalistes par ailleurs muselés, quasi incapable de couvrir la situation sur place, dénoncent une liberté de la presse bafouée au détriment d’un régime qui règne par la peur. La liberté d’expression est de plus en plus mise à mal. 

Samedi 8 janvier 2022, Faizullah Jalal, un professeur à l’université de Kaboul habitué des plateaux de télévision a été arrêté par les talibans et n’a pas donné de nouvelles depuis. Le père de famille était reconnu pour sa position ferme contre ce nouveau régime des talibans. Une arrestation qui a été justifiée par le porte-parole islamiste Zabihullah Mujahid par des posts sur les réseaux sociaux expliquant que Faizullah Jalal “essayait de monter les gens contre le système”. Le taliban poursuit en publiant des captures d’écrans de publications jugées “gênantes” : “Il a été arrêté pour éviter que d’autres ne fassent des commentaires insensés similaires, sous prétexte d’être professeur ou universitaire.” 

La fille du détenu, étudiante à l’université Georgetown de Washington, dément. Selon elle, ces posts proviennent d’un faux compte usurpant l’identité de son père. “Les talibans utilisent juste ces posts comme excuse pour faire taire une voix forte à travers le pays“, déclare-t-elle à l’AFP. Cette arrestation douteuse est loin d’être un cas isolé et ce surtout dans le paysage médiatique afghan. 

Un triste constat bien loin donc des belles paroles qu’ont pu avoir les talibans en revenant au pouvoir. Ce nouveau régime s’était engagé, dans une déclaration relayée par Reporters sans frontières (RSF) à respecter “la liberté de la presse parce que l’information sera utile à la société“. Selon plusieurs témoignages recueillis par RSF, de nombreux journalistes ont été censurés voire même violentés. “En une semaine, les talibans ont battu cinq journalistes et cadreurs de notre chaîne”, explique à RSF un producteur d’une chaîne privée de télévision nationale.  “Ils contrôlent tout ce que nous diffusons. Sur le terrain, les commandants talibans prennent systématiquement les numéros de nos reporters. Ils leur disent : quand vous préparerez votre sujet, vous dites ceci et cela. S’ils disent autre chose, ils sont menacés”.

Ce directeur d’une radio privée au nord de la capitale dénonce également cette mainmise qu’opèrent à petit feu les talibans sur l’information. “Il y a une semaine, ils nous ont dit ‘vous pouvez travailler librement à condition de respecter les règles islamiques (pas de musique et pas de femmes)’, mais ils ont commencé à nous ‘guider’ sur les informations que nous pouvions ou pas diffuser et sur ce qu’ils considèrent comme une information juste”, explique ce directeur qui a aujourd’hui fait le choix de fermer son média pour fuir et assurer sa sécurité. 

Un groupe mixte de danseurs de breakdance, à Kaboul, le 12 juin 2021. ADEK BERRY / AFP

Un groupe mixte de danseurs de breakdance, à Kaboul, le 12 juin 2021. ADEK BERRY / AFP

La musique n’est par ailleurs pas la seule forme d’art à être en péril dans le monde parfait des talibans. Alors que des instruments de musique sont détruits et le moindre concert interdit, c’est tout le monde artistique qui pleure. Écrire, lire, chanter, danser, filmer peut coûter la vie.

La place des femmes dans le régime taliban

Le 3 décembre 2021, le chef suprême du mouvement fondamentaliste, Hibatullah Akhundzada, avait affirmé sa volonté de « prendre des mesures sérieuses pour faire respecter les droits des femmes » et de lutter contre les mariages forcés des Afghanes. Respecter donc les droits des femmes mais toujours selon les “principes de l’Islam”. Un discours qui encore une fois n’est pas en adéquation avec la réalité des faits. Selon Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, cette crise n’est pas si éloignée de celle d’il y a une vingtaine d’années, “les mêmes choses sont en train de se répéter à l’égard des enfants, des femmes et de toutes les minorités dans le pays“, dénonce-t-il.

Dans une rue de Kandahar (Afghanistan), le 18 décembre 2021. JAVED TANVEER / AFP

Dans une rue de Kandahar (Afghanistan), le 18 décembre 2021. JAVED TANVEER / AFP

Depuis le 26 décembre de cette même année, soit moins d’un mois succédant les déclarations du régime taliban ci-dessus. Le gouvernement ordonne désormais dans un communiqué aux femmes souhaitant “voyager” à plus de 72 km de leur domicile d’être accompagnées d’un homme de la famille proche. Les afghanes auront besoin d’un chaperon pour les surveiller exactement comme il y a 20 ans… Encore un signe qui montre l’infantilisation constante des femmes.

Le début du mois de janvier 2022 marque aussi le refus de l’accès des femmes aux bains publics. La mesure se limiterait selon l’AFP pour le moment à seulement deux provinces celle de Balkh au nord celle d’Hérat à l’ouest. Mais il se pourrait que cette nouvelle disposition s’étende à d’autres régions de l’Afghanistan. Les femmes afghanes risquent de ne plus pouvoir satisfaire leurs besoins les plus élémentaires en matière d’hygiène. 

Si les femmes ne sont plus libres de se déplacer normalement, de faire leur hygiène normalement, d’étudier normalement ni même de consommer de l’art, en quoi peut-on parler de quelconque forme de liberté ? Comment la situation va-t-elle évoluer si en seulement six mois autant de libertés ont été bafouées ? 

Benjamin Manchon et Marie-Lys Pariot



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