L’ombre de Vincent Bolloré sur l’élection présidentielle

À la tête des nombreux médias qu’il possède, Vincent Bolloré veut tout savoir et tout contrôler. Il entend également jouer un rôle omniscient sur la politique française. Entre lutte de pouvoir avec Emmanuel Macron et création médiatique du personnage Eric Zemmour, voici l’invité surprise de la prochaine présidentielle.

Vincent Bolloré, impassible, durant l’Assemblée générale du groupe Vivendi. Photo : Getty Images

Vincent Bolloré, impassible, durant l’Assemblée générale du groupe Vivendi. Photo : Getty Images

Ami intime de Nicolas Sarkozy, à qui il prête son yacht luxueux au large de Malte après l’élection de ce dernier en mai 2007, Vincent Bolloré a toujours baigné dans le monde politique. L’oligarque français, âgé de 69 ans, est connu de tous, mais reste pourtant l’un des hommes d’affaires les plus discrets de France. Avec une logique de rendement et de chiffre d’affaires, le milliardaire breton façonne chaque média acheté sur le modèle de CNews et y voit désormais une quête de pouvoir. 

Un empire médiatique

Vincent Bolloré s’est d’abord fait connaître pour son entreprise familiale et ses activités sur le continent africain, mais est monté sur le devant de la scène grâce à son arrivée massive dans le paysage médiatique français. Après avoir conquis Havas, fondé Direct 8, Direct Star et ses journaux sous-jacents, il prend la tête du conseil de surveillance du groupe Vivendi puis de Canal +. Depuis 2015, les affaires du groupe Bolloré marchent à merveille grâce à la puissance des nombreux médias sous son contrôle.

Pour ne froisser aucun partenaire commercial ou politique, Vincent Bolloré tente de mettre au pas les journalistes. À l’instar de Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef de Canal +, qui a vu un de ses reportages sur le Crédit Mutuel être censuré par le patron de la chaîne. Sur le plateau de C à vous, le journaliste explique : « Vincent Bolloré fait de Canal, par moment, un instrument de propagande. »

Désormais, la société Vivendi grignote progressivement les parts du groupe Lagardère. En rachetant les parts d’Amber Capital, en décembre dernier, l’entreprise de Vincent Bolloré s’est emparée de 45,13 % du capital. Le groupe fondé par Jean-Luc Lagardère compte, entre autres, Europe 1, Paris Match, Le Journal du Dimanche, etc. 

Eric Zemmour, créé par et pour Vincent Bolloré. Photo : Associated Press

Eric Zemmour, créé par et pour Vincent Bolloré. Photo : Associated Press

Des journaux, comme Le Parisien, évoquent la « boulimie » des médias, et les procédés initiés par l’homme d’affaires marquent un tournant au sein du paysage médiatique français. Cela ne plaît guère à Emmanuel Macron, inquiet pour la pluralité d’information de la presse et de l’audiovisuel. Dans Le Monde, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin racontent les coulisses d’un dîner entre les deux hommes qui tourne au vinaigre après la réflexion du chef d’État à son invité : « Mais, enfin, arrêtez, vous achetez tout ! ». Le paradoxe Bolloré est de ne craindre personne tout en étant constamment paranoïaque. Depuis juin dernier et ce repas glacial, l’homme d’affaires est persuadé que l’Élysée veut lui mettre des bâtons dans les roues. Le 19 janvier dernier, il a justement été auditionné ​​par la commission d’enquête parlementaire sénatoriale sur la concentration des médias. Vincent Bolloré a insisté sur son intention première : « Notre intérêt n’est pas politique, n’est pas idéologique, c’est un intérêt uniquement économique. » 

Eric Zemmour, marionnette de Vincent Bolloré ?

Lorsqu’il s’agit de tirer les ficelles du monde politique tout en restant dans l’ombre, Vincent Bolloré se révèle très habile. Comme en 2015, lorsque Alpha Condé a transformé le plus grand concert de l’histoire de la Guinée en meeting politique quelques semaines avant sa réélection. Un spectacle rendu possible par le groupe Vivendi. La relation entre le président guinéen et l’homme d’affaires français s’étend également aux transactions commerciales avec, notamment, la concession du port de Conakry.

Pour Nicolas Vescovacci, co-auteur de Vincent Tout-Puissant, aucun événement de cette ampleur ne semble prévu en France. Le journaliste d’investigation affirme même que « le rôle de Vincent Bolloré dans la campagne présidentielle française est inexistant. » Pour lui, l’ombre du milliardaire plane davantage autour du personnage d’Eric Zemmour. 

« En revanche, il a permis et poussé à l’émergence du phénomène Zemmour. Personnage qui correspond pour partie à ses opinions et à sa vision du monde. » – Nicolas Vescovacci, co-auteur de Vincent Tout-Puissant

Depuis l’arrivée du polémiste sur les antennes de CNews, les audiences de la chaîne ont triplé de volume. La frontière entre les intérêts commerciaux et l’idéologie politique devient floue quand l’enquête de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin dans Le Monde dévoile que les deux hommes déjeunent ensemble une fois par mois et s’appellent quotidiennement. Vincent Bolloré se défend tout de même d’avoir fait connaître celui qui est désormais candidat. « Eric Zemmour était bien connu avant qu’il ne me rencontre pour la première fois. Il était sur d’autres grandes chaînes et ça ne posait aucun problème », affirmait-il devant la commission d’enquête du Sénat. Avec les chroniques hebdomadaires d’Aymeric Pourbaix, journaliste pour France Catholique, et la récente invitation de Renaud Camus, théoricien du grand remplacement, CNews se fait malgré tout porte-parole d’une droite conservatrice.

Proportion moyenne de citation par candidat entre le 30 août et le 17 décembre 2021. Source : acrimed.org

Le personnage médiatique d’Eric Zemmour est devenu politique. Il est, selon une enquête en cours, le candidat le plus mis en avant comme le montre le graphique ci-dessus. Alors que les médias traditionnels citent son nom assez fréquemment, à la hauteur de celui d’Emmanuel Macron, le président en exercice, ceux dirigés par le groupe Bolloré, quant à eux, lui accordent une part excessive de leur audience.

Grâce à ces coups de projecteurs non-négligeables, Vincent Bolloré peut compter sur le candidat du parti Reconquête! pour poser quelques problèmes à son rival de l’Élysée, voire rêver plus grand dans une quête toujours plus importante de pouvoir. Dans un dernier sondage Ipsos-Sopra Steria réalisée pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof, Eric Zemmour n’inquiéterait cependant pas Emmanuel Macron avec 13% contre 25% des intentions de votes au premier tour.

Anaëlle Petot et Enzo Leanni



Catégories :Plus Loin, Présidentielle

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