Grâce à la publication d’une enquête et d’une tribune, la parole des femmes victimes de violences sexuelles et sexiste dans le milieu politique se libère. Entre climat misogyne et multiplication des témoignages, MeToo toque à la porte des institutions politiques.

Le 26 novembre dernier, des manifestations ont éclaté pour dénoncer les violences sexuelles en politique. PHOTO : MAXPPP
Le milieu politique français tremble une nouvelle fois, à la suite d’un nouveau rebondissement. L’ancien ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot se retire définitivement de la vie publique, une décision prise après la diffusion d’une enquête réalisée par le magazine “Envoyé spécial” dans laquelle cinq femmes l’accusent de viol et d’agressions sexuelles.
Le mouvement MeToo a permis de mettre en lumière le milieu politique comme un univers ancré dans le sexisme. Ce dernier n’a donc pas échappé aux témoignages de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Le 15 novembre dernier, 285 femmes politiques et universitaires signent une tribune publiée dans le journal Le Monde pour appeler à la création d’un mouvement #MetooPolitique et demandent à ce que “les auteurs de violences sexuelles et sexistes” soient écartés de la scène politique. A l’origine de cette tribune, il y a cinq femmes : Alice Coffin, conseillère de Paris, Hélène Goutany, journaliste, Fiona Texeire, collaboratrice d’élus, Mathilde Viot, cofondatrice de l’association “Chair collaboratrice” et Madeline Da Silva, maire adjointe des Lilas (Seine-Saint-Denis).
Après cette publication, un site MeToopolitique a été créé. Et sur Twitter, une vague de réactions a déferlé avec le mot-dièse #MeTooPolitique. Sous ce mot-dièse, des centaines de femmes racontent leur situation de harcèlement, d’agressions sexuelles qu’elles ont vécu pendant leur mandat. Harcèlement, paroles sexistes ou violences physiques, les agressions en politique sont nombreuses et diverses. Selon une enquête réalisée le 3 décembre par le réseau Élues locales, 74% des femmes élues ont été au moins une fois victimes de ces actes.
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Aujourd’hui, les langues se délient plus facilement. Mais pendant longtemps, les histoires restaient tapis dans l’ombre souvent en raison de la peur de se confier, d’être jugée et incomprise. A l’heure où le mouvement #MeToo s’impose comme un tournant dans le combat contre les affaires de harcèlement et de violences faîtes aux femmes, l’affaire DSK résonne encore dans toutes les têtes, mais les conséquences se sont faites attendre. Plusieurs années après, le milieu politique est touché par de nouvelles affaires, Nicolas Hulot, Gérald Darmanin ou encore Denis Baupin.
L’avènement du mouvement MeToo et l’importance du poids électoral féminin a mis en lumière un problème sociétal présent sur la scène politique. Entre question féministe et place de la femme dans la politique, le mouvement #MeTooPolitique est-il en train d’éclore ? “Oui, on peut le dire. On l’a inscrit dans le MeToo global. Aujourd’hui, on attire l’attention sur le fait que ça n’est pas seulement un problème qui date d’aujourd’hui, c’est bien plus ancien que ça”, déclare Anne-Lise Rias, militante et présidente d’Osez le féminisme 63 (OLF 63).
Une parole remise en cause ?
Malgré la multiplication des témoignages, il est encore difficile de dénoncer les hommes politiques. Le but de libérer la parole est avant tout de mettre fin à l’omerta, un concept épineux pour un milieu ancré dans le sexisme. “Il y a une relation de domination très forte et inégalitaire dans le milieu politique”, explique Anne-lise Rias, militante et présidente d’Osez Le féminisme 63 (OLF 63). Dans un milieu où la présence masculine est importante, difficile donc de s’imposer, surtout quand sa place est remise en cause. “Pour les femmes qui parlent, il y a un réel enjeu. Elles seront exposées, elles peuvent donc recevoir beaucoup de messages sur les réseaux sociaux et cela peut donc être un frein”, ajoute-t-elle. Que ce soit sur le plan national comme local, la prise de parole est difficile. “Les milieux politiques locaux sont des écosystèmes, tout le monde se connaît”, précise Julia Mouzon, présidente et fondatrice du réseau Élues locales.
Le principe de l’impunité peut aussi être un frein au témoignage. “Il y a ce sentiment d’être intouchable. Et ceci est renforcé avec le cas Gérald Darmanin. Le maintien de son poste est perçu comme un pass droit”, déclare la militante et présidente de OLF 63. La passerelle entre l’envie de dénoncer son agresseur et la prise de parole est longue et lourde de conséquences. “C’est très difficile de dénoncer ces violences car elles sont commises par des hommes puissants, qui jouissent parfois d’une immunité liée à leur fonction, d’une impunité liée au fonctionnement de la classe politique”, explique Fiona Texeire, collaboratrice d’élus, l’une des fondatrice de la tribune publiée dans Le Monde. Et lorsque la victime décide de témoigner, sa déposition s’oppose à un schéma traditionnel et habituel. La remise en cause de sa parole s’explique, selon Fiona Texeire. “Cela fait partie de la stratégie classique de défense des agresseurs. Que disent-ils : je ne connais pas ces femmes, je ne me souviens pas des faits, ce sont des menteuses, c’est un complot…”.
“La personne mise en cause va chercher à dévaloriser ses victimes, à tout faire pour que leur parole ne soit pas entendue.” – Fiona Texeire
La politique, un domaine trop masculinisé ?
Loin de l’époque où seule une minorité de femmes accèdent aux fonctions politiques, aujourd’hui, elles se sont imposées dans ce domaine, notamment grâce à l’aide de la parité. Pourtant, tout n’est pas si rose dans ce milieu dominé par le sexe opposé. “Les femmes élues vivent tous les jours avec ces remarques sexistes. Mais tant qu’il n’y a pas assez de personnes pour prendre la parole, elles vivront toujours dans cette forme d’isolement”, explique Julia Mouzon. Les femmes essayent de s’imposer dans un milieu, marqué par la domination masculine. Mais ce n’est pas si simple.
L’enquête réalisée par le réseau Élues locales montrent que 48% des femmes élues ne se sentent pas légitimes à leur poste. “Je crois que le monde politique est encore celui qui se croit le plus intouchable. De la Révolution française jusqu’en 1944, nos institutions se sont construites en excluant les femmes. De 1944 à 2000, tout était fait pour leur barrer l’accès aux mandats électifs. Et depuis une vingtaine d’années, celles qui parviennent à pénétrer le jeu politique font souvent état de climats pesants, de sexisme, de harcèlement, d’agressions sexuelles, parfois de viol”, explique Fiona Texeire. A quatre mois de l’élection présidentielle, la question féministe s’invite dans le débat. Dans la tribune du 15 novembre dernier, il est indiqué que “trois candidats ou potentiellement candidats à l’Elysée sont déjà cités dans de nombreux témoignages d’agressions sexuelles”.
Selon le journal Libération, il s’agirait d’Eric Zemmour, de François Asselineau et de Jean Lassalle. Depuis le 5 février, François Asselineau est mis en examen pour agressions sexuelles. Il a été placé sous contrôle judiciaire. En ce qui concerne Jean Lassalle, après l’apparition du #balancetonporc sur Twitter, en octobre 2017, Julia Castanier, directrice de communication du Parti communiste français, a accusé l’ancien candidat de lui avoir “mis une main aux fesses”. Au même moment, l’homme politique est accusé par la journaliste Mié Kohiyama de tentative d’agression sexuelle. Eric Zemmour, candidat à la présidentielle, est lui aussi accusé d’agressions sexuelles. Plusieurs femmes se sont exprimées sur les réseaux sociaux. Parmi les septs femmes concernées, l’une d’entre elles s’est exprimée en novembre dans l’émission “Complément d’enquête”. Pour le moment, le candidat n’a fait l’objet d’aucune plainte de la part des victimes.
La parole se libère et des solutions sont mises en place pour aider les victimes à témoigner. Écouter, sensibiliser, accompagner, voilà, les actions portées par les groupes féministes. “On favorise les règles et la formation des personnes habilitées à recevoir des témoignages. On a mis en place un féministo-mètre qui consiste à passer les programmes des candidats à la loupe concernant l’égalité femmes-hommes”, explique Anne-Lise Rias. Le début du combat #MetooPolitique permet de lever le voile sur les violences sexistes et sexuelles dans les lieux de pouvoir, mais le chemin reste encore long.
Eva Thomas
Catégories :L'Evenement, Présidentielle
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