L’alcool tue. Massivement. Selon Santé Publique France, en 2015, l’alcool est responsable de la mort de 41 000 personnes. Malgré sa toxicité, l’alcool continue de couler à flots dans l’estomac des jeunes français, entraînant parfois une dépendance.

L’alcool s’invite régulièrement aux soirées étudiantes. Photo : Pixabay
“Je bois quatre fois par semaine”, annonce Xavier*, étudiant de 20 ans en école de commerce. En 2019, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) révèle que 85,7% des adolescents de 17 ans ont déjà bu de l’alcool et 44,0% ont consommé de manière importante dans le mois ayant précédé l’enquête. Selon une enquête menée par Santé Public France, la consommation d’alcool a coûté la vie à 41 000 personnes en 2015, en faisant la deuxième cause de mortalité évitable.
Des chiffres en accord avec la réalité
Antoine, en école d’ingénieur, boit comme Xavier* quatre fois par semaine depuis le début d’année scolaire. Un chiffre qui parle à Timéo*, car c’est le rythme qu’il avait avant de se rendre compte de son problème. Dans le cadre de l’article, un sondage a été réalisé auprès de 90 jeunes. Les sujets qui ont réalisé l’étude ont entre 17 et 22 ans et viennent de milieux différents. Parmi eux, 85,5 % affirment consommer de l’alcool et 14,14% déclarent ne pas boire d’alcool.
Dans ce sondage, la question de la régularité de leur consommation leur a été posée. D’après leurs réponses, un peu plus de la moitié boit régulièrement (51 % répondent oui à la question “Buvez-vous toutes les semaines ?”). Pour plus de la moitié, cette consommation se limite à une ou deux fois par semaine, tandis que pour certains elle peut aller jusqu’à six jours dans la semaine.
Pierre, 20 ans, recommence sa deuxième année de prépa pour tenter d’avoir de meilleurs résultats. Il confie se limiter à une consommation n’excédant pas les deux fois par semaine lorsqu’il est en cours, de part le sérieux de sa formation. Une habitude qui change drastiquement dès lors qu’il est en vacances. “Pendant les vacances je bois tous les jours, car c’est tous les jours la fête”, explique-t-il. Si Pierre arrive à se limiter aux périodes de vacances, ce n’est pas le cas de Leah qui avoue s’être mise à boire quotidiennement durant une certaine période.
Pour certains alcool rime avec gueule de bois le lendemain tandis que pour d’autres, il est plutôt synonyme d’une bière entre copains. Sur ces quatre consommations hebdomadaires, Antoine est ivre deux fois et reste raisonnable le reste du temps. Pour Pierre, l’alcoolisation forte est rare. Hormis lors des fêtes organisées par sa prépa, il utilise l’alcool comme prétexte pour passer un moment entre amis.
Un prétexte récurrent pour la plupart des étudiants. “Il ne faut pas forcément un motif, l’occasion de se retrouver entre camarades ou amis est suffisante pour aller au bar”, estime Xavier*. Les jeunes consommateurs ayant répondu au sondage sont 50 % à considérer être souvent ivres, 28,57 % pensent ne jamais l’être et 21,43 l’être souvent.
“Ils vont se soigner artificiellement”
“Je me suis rendue compte que boire m’aider à gérer mon angoisse. J’ai vécu des choses qui parfois remontent à la surface et l’alcool me permettait de faire une pause, de souffler”, analyse Olivia*, 18 ans. Un témoignage qui se rapproche de celui de Leah qui boit “pour oublier et ne se rappeler de rien le lendemain.”
Selon Bernard Antoine, addictologue à Paris, les jeunes tombent dans l’addiction à l’alcool pour des causes de raisons sociales mais aussi à cause de traumatisme ou de problèmes psychologiques. “Souvent l’addiction n’est pas le problème. Elle est le symptôme de la souffrance cachée derrière”, commente-t-il. “Ils vont se soigner artificiellement avec l’alcool car c’est un anxiolytique.”
Outre pour sa fonction anesthésiante, l’alcool est utilisé en majeure partie dans des situations sociales. Xavier*, a ainsi beaucoup consommé lors des campagnes du BDE (Bureau des étudiants). “Pour intégrer les BDE, il y a tout un tas de défis à réaliser dont certains avec de l’alcool. Cela pousse à boire parce qu’on veut épater la galerie, faire le show”, dévoile-t-il.
Une version qui concorde avec celle d’Antoine qui après deux ans de prépa veut profiter des soirées étudiantes que lui propose son école d’ingénieur. “Je cherche à décompresser de la prépa. Puis, l’alcool occupe aussi une fonction sociale importante en école, analyse le jeune Lillois. J’apprécie également beaucoup le fait d’aller passer un moment entre potes, c’est convivial.”
Laurent Gerbaud, médecin directeur du pôle santé handicap de l’université Clermont-Auvergne et professeur de santé publique au CHU de Clermont-Ferrand, estime que le problème principal des jeunes est qu’ils associent fête et alcool, puis week-end et alcool. Un constat sur lequel Bernard Antoine le rejoint. Selon lui, les jeunes ne savent plus s’amuser sans alcool.
Selon le sondage réalisé auprès des 90 jeunes français, dans ceux qui consomment de l’alcool, 73,08% affirment le faire pour se détendre, 17,95% car ils recherchent l’ivresse et 8,97% car ils veulent s’intégrer. Ainsi, lorsqu’ils font le choix de la boisson qu’ils vont prendre, c’est à 66,67% pour le goût et à 33,33% pour l’effet.
L’alcool, un piège attrayant
Si l’alcool peut avoir les apparences d’une solution ou d’un jeu, le professeur Laurent Gerbaud met en garde : un des facteurs d’initiation à l’alcoolisme est le “binge drinking”, soit une alcoolisation ponctuelle importante. Ce phénomène, plus dangereux au niveau hépatique comme cérébrale, existe depuis des années mais ce n’était ni une tendance, ni un facteur d’entrée dans l’alcoolisme. “Le piège, c’est que les étudiants ne boivent pas tous les jours. Et en ayant des jours d’abstinence, ils pensent être protégés, ne pas être dépendants”, décortique-t-il, en exposant le vice de cette pratique.
Selon l’addictologue Bernard Antoine, ce comportement est un facteur qui augmente les risques de sombrer dans l’addiction mais ce n’est pas une règle. “L’addiction est multifactoriel. C’est la rencontre entre un individu, un produit et un contexte ; ce qui est vrai pour Paul ne le sera pas pour Jacques”, décortique-t-il. Cela ne signifie pas que l’on peut se croire immunisé contre ce fléau. “L’accoutumance est plus fréquente chez les jeunes que l’addiction. Beaucoup d’entre eux deviendront addict, mais plus tard.”
Pourtant, Xavier*, comme Antoine et Timéo* pensent que leur consommation d’alcool ne serait pas la même s’ils étaient plus âgés. “À 18 ans sans enfants ni quoi que ce soit on ne boit pas comme un papa de 45 ans, patron de banque”, explique Timeo.
S’interroger sur la relation qu’on entretient avec l’alcool
Se rendre compte de l’addiction est difficile, entre la méconnaissance des signes et le déni, tomber dans une spirale sans fond est rapide. Selon Bernard Antoine, la quantité est un premier indice. Lorsque la consommation est supérieure à 3 verres par jour tous les jours, une dépendance peut s’installer. Boire dans la journée est également un signe. Surtout, le dysfonctionnement d’une personne lorsqu’elle consomme doit inquiéter. Par exemple, si elle devient violente.
Pour le professeur Gerbaud, il y a trois indices à ne pas louper : l’amnésie post-alcoolisation, autrement dit si la personne a des trous de mémoire ; l’incapacité à s’arrêter de boire avant d’être ivre ; ne pas faire ce qu’on avait prévu comme programme pour la soirée. Si l’on constate un de ces facteurs et surtout s’ils se répètent, alors, il est temps de faire le point et de s’interroger sur la relation qu’on entretient avec l’alcool.
Leah, a commencé à se poser des questions lorsqu’elle a constaté certains de ces signes : “Je ne me souvenais vraiment de plus rien, et j’ai fait des choses mauvaises et regrettables à plusieurs reprises”. Timéo* s’est également inquiété après un “black out”, incapable de se souvenir d’une grande partie de sa soirée. Fatigué de se sentir dans la position de l’ami sur lequel il faut veiller, il a pris la décision de réduire drastiquement sa consommation.
Le rôle de la culture
Malgré tous les dangers que présente l’alcool, il semblerait que la situation ne change pas de sitôt. Effectivement, la plupart des jeunes sont initiés tôt à l’alcool et par le biais de leurs parents. À l’âge de 12 ans, voilà que le petit dernier se voit proposé de goûter le vin au repas de Noël, comme l’explique un étudiant. À 15 ans, c’est le shot de Get27 pour fêter le commencement d’une nouvelle année. Mais alors, comment se méfier de ce liquide s’il nous est proposé par des gens de confiance.
Encore plus particulièrement lorsque l’on est habitué à voir des verres d’alcool dans les séries et films que l’on visionne. “L’alcool est tellement présent que ça le banalise. Selon moi, la série qui représente ça récemment, c’est Peaky Blinders”, raconte Xavier.
“Tout joue un rôle. L’alcoolisme est une maladie neuro bio psycho sociale et par sociale, j’entends aussi la culture”, commente Bernard Antoine. Si quelques spots de prévention sont diffusés à la télévision, ce n’est pas assez pour lutter contre les lobbys de l’alcool qui savent comment convaincre le consommateur. Selon Bernard Antoine, les messages de prévention ne sont pas assez choc, sont trop gentils. Il faudrait selon lui s’inspirer des pubs faites en Angleterre.
Si Pierre qualifie la relation qu’il entretient avec l’alcool de “normale et sans ambiguïté“, le premier adjectif qui passe par la tête de Leah est “toxique”. De quoi démontrer qu’aucune expérience n’est similaire.
Swann Dalbera
*Les prénoms ont été modifiés
En cas de doutes, d’inquiétudes ou de ressemblance entre les signes d’alcoolisme décrits par les professionnels interrogés et vos habitudes ou celles de vos proches, il est préférable de vous rendre sur la plateforme https://www.alcool-info-service.fr ou d’appeler le 0 980 980 930.
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