Le stade de football, une violence aussi grandissante qu’inquiétante

De Lens à Nice en passant par Angers ou Montpellier, la France du football voit actuellement la violence gangréner ses tribunes. Après un an de huis clos forcé par la pandémie, les stades de Ligue 1 retrouvent leur public et leur passion exacerbée. Depuis le début de saison, de nombreux incidents se sont déroulés avec blessures et interpellations à compter par dizaines.

Dimitri Payet devant le virage sud incandescent du Stade Vélodrome en Ligue Europa face à Galatasaray. Photo : Johnny Fidelin/Icon Sport

Dimitri Payet devant le virage sud incandescent du Stade Vélodrome en Ligue Europa face à Galatasaray. Photo : Johnny Fidelin/Icon Sport

Dès la première journée de cette saison 2021/22, les supporters ont marqué leur retour par des altercations évitables. Alors que les joueurs de l’Olympique de Marseille célèbrent leur but face aux tribunes montpelliéraines, un projectile est lancé et touche Valentin Rongier. La rencontre est alors arrêtée une dizaine de minutes, le temps que le stade de la Mosson fasse retomber quelque peu la pression. Depuis, les incidents se sont multipliés avec, comme principal exemple, le match entre Nice et Marseille qui n’est pas allé à son terme, le 22 août dernier. Après une pluie d’objets lancés depuis les virages niçois, une bouteille heurte Dimitri Payet de plein fouet. Fou de rage, le meneur de jeu renvoie le projectile provoquant une échauffourée mêlant joueurs et supporters descendus sur le terrain.

Des sanctions trop légères

Le 8 septembre dernier, la commission de discipline de la Ligue de football professionnel s’est, une nouvelle fois, réunie et a prononcé une série de sanctions à la suite de ces heurts. Le match sera rejoué, le 27 octobre, à Troyes dans un stade de l’Aube vide. L’OGC Nice a écopé de deux points de pénalité dont un avec sursis et de trois matchs à huis clos. Des mesures trop légères pour Gabriel*, abonné au sein du groupe marseillais du Commando Ultra ‘84 et présent en parcage face à Nice : Je suis outré par la décision rendue par la Ligue. Pour moi, l’OGC Nice est immensément fautif et il fallait leur donner match perdu pour marquer le coup. Je ne parle même pas en tant que supporter de l’OM mais en tant qu’éducateur d’une équipe de football amateur.”

“Comment peut-on expliquer à nos jeunes et aux supporters qu’il ne faut pas se battre quand on voit la légèreté de la sanction donnée à Nice ?” – Gabriel, supporter marseillais

Ces sanctions n’ont pas freiné les supporters lensois à descendre sur la pelouse de Bollaert pour tenter d’affronter leurs rivaux lillois à la mi-temps du derby du Nord. De la même façon, à la fin du match entre Angers et Marseille, des heurts entre groupes d’ultras ont provoqué un nouvel envahissement de terrain. Liste non exhaustive puisque l’on peut aussi évoquer les rixes au Parc des Princes entre Parisiens et Lyonnais où le jeune Lucas, âgé de onze ans, a reçu un siège sur la tête. Mais quand mon mari a suggéré de porter plainte, on lui a répondu que ce n’était pas la peine, que personne n’irait le chercher et qu’ils le faisaient tout le temps. Pour être honnête, on est un peu écœurés”, confiait au Parisien la mère de la victime.

Face à la violence d’une minorité présente dans les stades, les sanctions se révèlent plus souvent collectives qu’individuelles. La France est pourtant l’un des pays qui possède le plus grand arsenal de répression individuelle. Sur l’infographie ci-dessus, nous pouvons apercevoir la force de ce régime d’interdiction de stade. Néanmoins, les mesures prises restent inefficaces. Dans un billet publié pour Libération, Damien Dole n’épargne pas ces sanctions collectives qui n’ont jamais fonctionné”. Alors que les matchs à huis clos se multiplient presque autant que les interdictions de déplacements, le journaliste estime que punir une majorité est aussi stupide qu’inefficace. Selon lui, la question n’est alors pas de sanctionner plus mais de sanctionner mieux.

Le stade, lieu d’exutoire retrouvé

Le problème premier ne se situe pas au niveau des punitions mais évidemment des incidents. Ceux-ci surviennent après un an de huis clos forcé par la pandémie de Covid-19. Jérôme Rothen fait justement un parallèle avec la situation sanitaire sur RMC : C’est le reflet de la société. On a aujourd’hui les effets des confinements qu’on a vécus, du Covid. (…) On a l’impression que ce sont des animaux qu’on a lâchés”. Plus qu’une tension autour du sport, c’est un phénomène global que pointe du doigt le consultant. De la même façon, durant le confinement de mars à mai 2020, une nette augmentation des signalements de violences sexuelles, intrafamiliales et d’escroquerie a été constatée en France. Selon le site du gouvernement, les deux mois passés chez soi ont favorisé une baisse de la délinquance hormis les trois formes citées précédemment. Deux des trois étant tout de même des symboles relativement forts d’un mal-être sociétal.

Pour Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole Centrale de Lyon et spécialiste des supporters de football, l’année passée devant son poste de télévision n’est pas la cause principale, j’ai plutôt le sentiment que les tensions existant déjà en temps normal sont aujourd’hui exacerbées”. Patrick Mignon, responsable du Laboratoire de sociologie du sport de l’INSEP, est d’accord sur le fait d’assister davantage à un retour qu’à une arrivée soudaine : Il ne faut pas croire que cette violence est une nouveauté. Elle existait avant le huis clos et c’est normal qu’elle apparaisse encore après. Évidemment que le confinement a accentué le désir de revenir au stade, mais ce phénomène n’est pas propre qu’à l’ultra, les familles aussi en avaient besoin”. Gabriel, le supporter du Commando Ultra ‘84 interrogé dit avoir très mal vécu la saison dernière, expliquant le vide ressenti avec l’impossibilité de se rendre dans sa deuxième maison. 

Plus grand lieu d’exutoire, le stade de football devient, pour certains, un défouloir. L’exemple des hooligans anglais des eighties est parlant. Les prolétaires de la semaine devenaient des membres de gangs violents le dimanche à Anfield Road ou Boleyn Ground. Impossible cependant de comparer les violences actuelles vues en France et celles, souvent mortelles, qui se déroulaient en Grande-Bretagne. A Marseille, Gabriel ne ressent d’ailleurs pas une atmosphère délétère depuis le début de saison : C’est très chaud, bouillant même, mais on est toutes et tous heureux d’être au stade, ce qui fait que l’ambiance est vraiment belle (…) Les incidents récents en Ligue 1 n’ont pas vraiment d’effet au Vélodrome. Le stade n’a connu aucun débordement majeur, c’est surtout une belle ambiance”. 

La violence verbale en plus de celle physique, ici, les supporters de l’AS Saint-Etienne font part de leur désamour pour le voisin lyonnais. Photo : Sylvain Bruyas

La violence verbale en plus de celle physique, ici, les supporters de l’AS Saint-Etienne font part de leur désamour pour le voisin lyonnais. Photo : Sylvain Bruyas

Clément*, adhérent au groupe Lyon 1950, était du déplacement à Paris lorsque le jeune Lucas a reçu un siège provenant du parcage lyonnais : Du côté du Groupama Stadium, l’ambiance est vraiment saine et sympathique. Je ne peux pas en dire autant de notre déplacement au Parc des Princes. Même si nous avons vécu un très beau match dans le parcage, il y a eu des échanges de projectiles vers la fin. Ça allait de l’objet classique comme le briquet que j’ai reçu sur la tête à des sièges arrachés et balancés.” Le supporter rhodanien dit, néanmoins, ne pas garder cela en souvenir de la rencontre. Comme si cette escalade de la violence devenait habituelle. Classique dit-il en parlant du briquet.

Orateurs sans auditeurs

Entre l’Euro 2016 et la crise sanitaire, un dialogue a été ouvert entre la justice, les instances sportives et les groupes de supporters. Le but étant de faire régner, une bonne fois pour toute, une ambiance saine dans le stade. Et ce, en passant parfois par de la répression collective. En mai 2020, deux députés, Marie-George Buffet (PCF) et Sacha Houlié (LREM), ont publié un rapport sur le supportérisme dénonçant cette “politique du tout-répressif”. Ce dernier reste convaincu de l’importance du public dans un stade de football même après les incidents survenus à Nice, Lens ou Angers. C’est toujours très simple pour les politiques et les commentateurs d’expliquer que si on ne se déplace pas il n’y a pas de problèmes, déclare le député dans un entretien accordé à Ouest France. Dans tous les cas, il y aura toujours des déplacements, même sauvages. Dans notre pays on peut quand même se dire que c’est naturel d’avoir la liberté de se déplacer, je ne vois pas pourquoi les supporters en seraient privés.”

“Il y a des désordres mais punir l’ensemble des supporters est contre productif parce qu’on va revenir à une forme où l’on va stigmatiser une partie de la population pour les agissements de quelques-uns.” – Sacha Houlié, député LREM

Patrick Mignon est sur la même ligne directrice et estime qu’il faut rouvrir les discussions avec les supporters : “La situation actuelle est justement idoine au dialogue. Oui, les tensions sont fortes mais elles ne cesseront que par ces échanges. Je pense qu’ils avaient fait du bien avant le confinement car ils apportent des solutions. J’avais notamment apprécié la gestion des déplacements et j’ai peur que ça passe à la trappe.” 

Du côté des supporters, il y a parfois un véritable sentiment de délaissement. Eux se disent prêts à parler mais estiment ne pas bénéficier de l’écoute nécessaire. Clément relativise en montrant aussi les torts des ultras : “Certes, il y a de nombreuses interdictions de déplacement mais en même temps, et je parle en tant que supporter amené à se déplacer. Difficile d’en vouloir aux préfets et aux forces de l’ordre quand on voit tous les incidents de ces dernières semaines et même depuis des années (…) Nous, Lyonnais, n’avons plus le droit de nous déplacer à Saint-Etienne depuis sept ou huit ans. L’expérience a été tentée une fois, en 2017, et ça a débouché sur du grand n’importe quoi avec de violents heurts. Forcément, ça ne donne pas envie de laisser une nouvelle chance aux supporters”. Dimanche 3 octobre dernier, l’Olympique Lyonnais s’est d’ailleurs déplacé, une fois de plus, chez son voisin et rival stéphanois sans le soutien de ses supporters. 

Les deux ultras interrogés pointent du doigt un mal assez peu considéré mais bien plus profond à propos des tensions en tribune. Gabriel se veut clair : Il y a aussi un élément important qui n’est presque jamais évoqué, c’est le rôle de l’extrême-droite sous toutes ses formes. Il va falloir que ce pays commence à regarder la vérité en face. Lors des deux événements qui ont fait le plus de bruit, les groupes mis en cause ont des liens avec l’extrême-droite et les identitaires. Dans la sphère du supportérisme, tout le monde le sait. À Nice, le groupe des Populaire Sud est connu depuis longtemps pour être proche des identitaires, les DVE Lillois également, sans même parler de la Losc Army qui est infestée de néo-nazis.” 

“Tout cela est le reflet de la société où le racisme, le suprémacisme et tous leurs dérivés vivent dans une certaine impunité.” – Gabriel, supporter marseillais

Clément, lui, donne même un exemple plus que récent, une nouvelle fois lors du déplacement à Paris : Dans le parcage, une personne derrière moi faisait peur à entendre. En toute fin de match, alors qu’on poussait pour gagner, le défenseur noir du PSG, Nuno Mendes, est l’auteur d’un très beau retour défensif. Derrière moi, cet homme a alors fait un cri de singe…Pour ces deux supporters, le mal est bien plus profond que quelques fumigènes ou paroles tapageuses participant au folklore de la tribune populaire. Ils appellent les clubs et les instances à faire le ménage”. 

* Les prénoms des deux supporters ont été changés.

Enzo Leanni



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