Les manifestations d’agriculteurs se multiplient ces derniers jours en France. Opérations escargot et actions coup de poing qui expriment une détresse aggravée par les réformes à venir.

L’un des messages chocs de détresse, repris chaque année sur tout le territoire par les manifestants. Photo : l’Est Républicain
Plus de 2 000 agriculteurs ont manifesté en plein de cœur de Clermont-Ferrand, le jeudi 25 mars 2021, déversant devant la préfecture, en bordure de la Place de Jaude, des tonnes de fumiers. Une démonstration loin d’être isolée puisque la vague de manifestations agricoles touche l’ensemble du pays à l’appel de la FRSEA (fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles), des syndicats régionaux Jeunes Agriculteurs ainsi que Copamac-sidam pour le Massif Central.
“Agriculteur, enfant on en rêve, adulte on en crève”
La détresse du monde agricole semble croître d’année en année sans perspective d’amélioration. Pour beaucoup, 2020 aura été une année sans salaire, pour d’autres l’année de trop. Les chiffres sont flous et souvent approximatifs. En France, un agriculteur se suicide tous les jours ou tous les deux jours selon les estimations, une surexposition de plus de 12% par rapport à l’ensemble de la population. Place de Jaude, comme partout en France, les messages sur les pancartes sont équivoques : “Agriculteur, enfant on en rêve, adulte on en crève”, “La mort est dans le pré” etc… Une détresse qui perdure, renforcée par la concurrence étrangère et les réformes agricoles.
Les revenus des agriculteurs sont extrêmement variés, derrière le mot agriculteur se cache une multitude de réalités, entre petites et grandes exploitations, éleveurs et céréaliers notamment. Bruno, agriculteur de l’Allier est venu à Clermont pour exprimer sa colère face au manque de reconnaissance comme il l’a expliqué à La Montagne : “Si je n’avais pas ma femme et son salaire, je ne pourrais pas m’acheter à manger tous les jours. En 2020, je ne me suis versé aucun salaire… Vous trouvez ça normal ? C’est une honte?” En 2017, un agriculteur sur cinq ne se serait pas versé de salaire, selon une étude de l’INSEE qui estime à 1390 euros le revenu moyen des agriculteurs.
La PAC 2023 dans le viseur
Une réforme crispe particulièrement les exploitants agricoles et est à l’origine des manifestations qui touchent le pays depuis la fin d’année 2020. Après plusieurs mois de débats, la réforme de la Politique Agricole Commune a été approuvée par le Parlement européen le 21 octobre, suivant la position du Conseil de l’Union Européenne. Une réforme dite des « éco-régimes » qui a pour objectif de favoriser le passage à une agriculture plus verte pour les exploitations de l’Union.
Face à la longueur des débats, son entrée en vigueur, initialement prévue en janvier 2021, a été repoussée de deux ans. Afin d’intégrer la politique agricole commune au Pacte vert, la Commission européenne souhaite renforcer le système de conditionnalité. Le versement et le montant des aides versées aux agriculteurs seraient ainsi davantage encore soumis au respect de certaines obligations.
“Penser à l’environnement mais pas au détriment de l’humain”
Cette nouvelle règle n’aurait pas pour effet d’augmenter les aides versées aux exploitations bio mais réduirait à l’inverse d’environ 70 euros par hectare et par an, les paiements pour plus de 40% des exploitants français. La sonnette d’alarme est tirée, sans modification, la PAC 2023 entraînerait le dépôt de bilan de près de la moitié des exploitations françaises, affirment les syndicats. “C’est super de penser davantage à l’environnement. Il ne faut juste pas que ce soit au détriment de l’humain”, affirmait un agriculteur présent à Toulouse le 8 avril.
Les agriculteurs dénoncent une chimère du bio qui tuerait les agriculteurs français et favoriserait la mise sur le marché de produits étrangers soumis à des normes plus souples que les normes européennes, en particulier sur la modification génétique et le glyphosate qui a tant secoué les derniers débats. Après trois premières vagues de manifestations depuis janvier 2021, les syndicats agricoles pourraient prochainement appeler à une quatrième mobilisation. C’est en tout cas ce que de nombreux agriculteurs ont promis en quittant la Place de Jaude : “Si nous ne sommes pas entendus, la prochaine fois, ça va dégénérer pour de bon…”
Thomas Jau
Catégories :Auvergne
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