Pointé du doigt depuis le début de la crise sanitaire pour son manque de considération de la situation des jeunes, le gouvernement multiplie depuis peu les coups de communication sur les réseaux sociaux. Mais ces techniques de sensibilisation et de reconquête d’une partie de l’électorat fonctionnent-elles vraiment ?

Publié le 21 février, le clip de sensibilisation aux gestes barrières “Je me souviens”, réalisé par Mcfly et Carlito, a atteint le seuil des 10 millions de vues en seulement trois jours. Photo : Coline Cornuot
Live Twitch, stories Instagram, collaboration avec des influenceurs : pour reconquérir le cœur de la jeunesse, le gouvernement ne chôme pas. Preuve en est : l’interview de Jean Castex diffusée dimanche 14 mars sur la chaîne Twitch de Samuel Etienne. Le rendez-vous a suscité beaucoup de polémique, entre internautes curieux et utilisateurs réfractaires à l’arrivée d’un premier ministre sur Twitch.
De l’annonce du défi lancé aux Youtubeurs McFly et Carlito, qui a fait grand bruit dans les médias, au tollé provoqué par l’émission Sans Filtre de Gabriel Attal, avec le hashtag #étudiantspasinfluenceurs, une chose est sûre, ces initiatives font couler beaucoup d’encre.
“Ça sonne faux et superficiel”
Et pour cause, après une gestion de la crise considérée par beaucoup d’étudiants comme un fiasco, difficile de les reconquérir. “La communication est médiocre, voire inexistante”, déplore Solène, étudiante de première année en licence d’anglais. “Il faudrait prendre le temps de nous écouter et de nous comprendre au lieu de chercher à faire le buzz”, ajoute-t-elle. “Ça sonne faux et superficiel”, souligne Alexandra, étudiante en journalisme.
Ce décalage s’est fait sentir avec la diffusion de la première émission Sans Filtre, mercredi 24 février. Lancé par le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, le programme vise à réunir chaque mois six jeunes pour discuter de la politique du gouvernement. Mais pour ce pilote, le choix d’influenceurs déconnectés de la réalité étudiante pour se faire le relais de cette parole a provoqué une vague de mécontentement sur les réseaux sociaux. “Ils sont en décalage complet avec les jeunes. Les influenceurs invités ont de l’argent, ne sont plus étudiants ou ne l’ont jamais été : ça ne reflète pas la réalité”, regrette Justin, étudiant à Vichy.
Je vous présente 2 #etudiantspasinfluenceurs de Paris et Evry.
Le jour ils sont derrière leur cours zoom. Le soir dans leur chambre de 9m2. Et le week-end, ils font des collectes pour qu’eux et tous leurs camarades puissent remplir un peu le frigo.#CeuxQuOnVoitJamaisAlaTV pic.twitter.com/4Jlf5ZLKDP— Julie Garnier 🐝 (@JulieGarnierFI) February 27, 2021
Un sentiment d’incompréhension qui s’était déjà manifesté à l’annonce de la collaboration entre le président de la République et les youtubeurs McFly et Carlito. Emmanuel Macron les avait mis au défi de réaliser une vidéo de sensibilisation aux gestes barrières et d’atteindre les 10 millions de vues. A la clé ? L’autorisation de filmer à l’Elysée et sa participation au célèbre concours d’anecdotes des deux vidéastes. Si le clip, publié sur la plateforme le 21 février, a suscité un certain engouement et a très vite totalisé le nombre de vues escompté, l’initiative est loin d’avoir fait l’unanimité. Pour Justin, étudiante en journalisme, “le gouvernement profite des jeunes, en communiquant à travers leurs idoles.” Moins critique, Manon, étudiante en licence d’anglais, estime : “Le président veut se donner une image, montrer qu’il est proche des jeunes, je ne vois pas trop l’intérêt.”
“Il faut démystifier la politique, nous donner les moyens de nous y intéresser” – Alexandra
Si beaucoup ne voient là qu’un opportunisme maladroit en vue de la prochaine présidentielle, la volonté d’inclure davantage les adolescents et jeunes adultes est appréciée. “C’est important de s’adresser à nous, parce qu’on est les prochains à voter. Je n’ai pas souvenir que les autres présidents avant Emmanuel Macron étaient aussi proches des jeunes”, observe Manon. “Il faut démystifier la politique, nous donner les moyens de nous y intéresser, de ce point de vue, c’est une bonne initiative”, ajoute Alexandra. Apprécier, oui, mais sans être dupe : “Ça donne vraiment l’impression qu’ils essaient d’élargir leur électorat. Je voterais pour un programme mais pas pour une communication ou un personnage.”
Rien à perdre
Et même si ces initiatives laissent certains sceptiques, pour Mathilde Aubinaud, enseignante en communication, le gouvernement n’a rien à y perdre : “Que ce soit bien vu ou pas, l’enjeu est de faire naître des conversations”. Et ça semble fonctionner : 54% des 18-24 ans ont une bonne opinion d’Emmanuel Macron, contre seulement 36% en janvier selon le tableau de bord politique par IFOP/Fiducial pour Paris Match/Sud Radio. Aller sur ces plateformes permet de toucher des personnes complètement dépolitisées, et par extension leur entourage. Sur Twitch, par exemple, le gouvernement trouve la spontanéité qui lui manque, surtout en cette période de crise sanitaire. “C’est un question-réponse, il n’y a pas de tabou”, explique Nathalie Mauret, journaliste politique, “les jeunes pourront poser les questions qu’ils veulent.”
En collaborant avec des influenceurs très suivis, le gouvernement parvient à être plus audible auprès de la jeunesse. Infographie : Camille Rouget
Mais ce phénomène n’est pas tout à fait nouveau : ce qui change, ce sont principalement les modalités. “Parler aux jeunes, c’est déjà ce que faisaient les politiques avec des émissions d’infotainment par exemple, mais là, ils utilisent un nouvel objet médiatique”, explique Mathilde Aubinaud. Et Emmanuel Macron n’en est pas à son coup d’essai. Depuis le début du quinquennat, le gouvernement fait la part belle aux réseaux sociaux. Un exemple ? Les live Facebook hebdomadaires d’Edouard Philippe lorsqu’il était à Matignon. “Ils vont parler aux jeunes sur leur terrain, en s’adaptant à leur consommation médiatique et en utilisant leurs codes, mais sans les surjouer.” Ces médias sont le moyen pour les politiques de parler aux jeunes sans forcément essayer de leur ressembler. “Quand le président de la République s’exprime sur Brut, il va parler pendant longtemps mais sans paraître trop cool, sans montrer telle ou telle posture de jeunes qui auraient alors l’impression d’être signés”, analyse Mathilde Aubinaud.
“L’enjeu, c’est d’être audible”
Au-delà de ces nouveaux codes, ce qui marque un bouleversement, c’est le moyen de communication. “Pour les présidentielles, l’enjeu, c’est d’être audible, dans un contexte de crise où on est isolé : la campagne va se jouer de plus en plus sur les réseaux sociaux”, détaille Mathilde Aubinaud. Et le gouvernement est loin d’être le seul à s’intéresser à ces formats. Et pour cause, cette stratégie, à la fois économique et compatible avec les contraintes sanitaires, instaure un lien privilégié avec les internautes. Les records d’audience battus par l’interview de François Hollande diffusée sur la chaîne Twitch du journaliste star Samuel Etienne en sont le reflet.
#Thread
L’ancien président @fhollande hier soir dans #LaRencontreEstTienne sur Twitch…Bien sûr, il y a les chiffres :
– stream n°1 dans le monde
– pic à 84.000 viewers
– 650.000 replay
– Un échange de 2H30 avec les seules questions du chatMais l’essentiel n’est pas là ⬇️ pic.twitter.com/23EUwbucJG
— Samuel Etienne (@SamuelEtienne) March 9, 2021
Diffusée le 8 mars dernier, l’émission a réuni plus de 80 000 viewers, de quoi se hisser en tête des audiences mondiales. Du côté de l’opposition aussi, les initiatives numériques fleurissent et s’attachent à communiquer du contenu professionnel comme du plus personnel. “Il y a une manière de se raconter, de montrer ses failles, ses fragilités, sans perdre de vue la posture du politique”, explique Mathilde Aubinaud. Le Rassemblement National, la France Insoumise, les Républicains… : tous prennent d’assaut les réseaux sociaux. De quoi laisser préfigurer une campagne pour 2022 qui se jouera majoritairement en ligne.
Camille Rouget et Coline Cornuot
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