Alors que le Festival du court-métrage de Clermont s’ouvre vendredi 29 janvier, les nombreux réalisateurs se préparent à un festival totalement en ligne. Parmi eux, Paul Mas présente son court-métrage Précieux, un film plus sociologique qu’il n’y paraît.

Paul Mas est le réalisateur du court-métrage en stop-motion “Précieux”. Photo : Unifrance
Âgé de 25 ans, Paul Mas présente son tout premier court-métrage, Précieux, réalisé en stop-motion au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand, qui s’ouvre en ligne vendredi 29 janvier. Il y raconte la difficile intégration d’un élève neuro-atypique, Émile, dans le dur univers qu’est la cour de récréation d’une école primaire. Julie, élève rejetée par ses camarades se lie d’amitié pour ce jeune élève avec qui elle a en commun la passion du dessin. Paul Mas revient sur la genèse et le propos de ce projet.
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— Clermont-Filmfest (@Clermont_Court) January 16, 2021
L’Effervescent : D’où vous est venue l’idée de ce scénario ?
Paul Mas : Au départ, j’avais envie de faire un récit d’initiation inversé : passer d’un personnage sympathique à une personne moins morale. Un jour, en rentrant du travail, j’ai aperçu des enfants jouer dans une cour d’école et ça m’a interpellé. Alors que je faisais face à beaucoup de désillusions sur le monde du travail, je me demandais : d’où vient l’origine de cette sauvagerie ? Plus je remontais dans mes souvenirs, plus je pensais à l’école qui, je pense, est le premier lieu d’apprentissage d’un certain darwinisme social. Je voulais donc montrer la naissance de ce phénomène.
À quel moment, en tant qu’être humain, on comprend qu’il faut faire primer nos intérêts sur ceux des autres, et donc accepter la présence des minorités et leur place en tant que telle dans la société ? Le choix de l’autisme a été ici arbitraire. À aucun moment, nous avons d’ailleurs utilisé le mot autisme pour présenter le film car ce n’est pas le propos. Émile est avant tout quelqu’un hors d’une norme.
Vous êtes-vous inspiré de témoignages d’enfants autistes dans l’écriture de Précieux ?
J’ai fait plusieurs choses. J’ai regardé des documentaires, lu des livres, des articles. Mais je n’ai pas discuté avec des personnes neuro-atypiques pendant l’écriture du scénario. Tristan Collet, le comédien qui double Émile, n’est pas autiste mais est atteint d’un handicap physique. Pour l’anecdote, je l’ai rencontré par hasard dans le train. Au début de la lecture du scénario, il m’a demandé pourquoi je ne montrais pas Julie comme une “connasse” [celle-ci finit par abandonner Émile suite à de multiples pressions sociales]. Je lui ai répondu que, pour moi, c’était plus scandaleux de montrer ce comportement comme parfaitement normalisé plutôt que de le condamner directement.
Savez-vous si des enfants l’ont déjà vu ?
Le film a été sélectionné pour le festival dédié aux films pour enfants italien “Catch The Moon”, où il a reçu un prix. J’étais super content. Il devait être montré à des tout petits mais il a fini dans une catégorie pour des enfants de 15 ans. Récemment, on m’a posé des questions pour une école primaire. J’ai trouvé ça génial. Si le film pouvait parler à des enfants, je serais vraiment content. Ma cible était les plus de 15 ans, mais si les enfants peuvent saisir le propos du film, je serais ravi et j’adorerais en parler avec eux.

Le film de Paul Mas a déjà été récompensé dans deux festivals : BIAF (Corée du Sud, 2020), Black Nights Film Festival de Tallinn (Estonie, 2020). Photo : Unifrance
En écrivant ce film, avez-vous pensé à sa cible ?
Je n’ai jamais écrit pour une personne en particulier. Ça renvoie à ce que l’on pense de l’utilité de raconter des histoires et de les diffuser, et plus globalement à pourquoi on fait des films. Pour moi, un film est un discours fait pour être diffusé le plus largement possible. J’ai essayé de me tourner vers ma génération, les millenials. Les 18-30 ans, qui ont grandi avec DBZ [Dragon Ball Z], une Gameboy et des couleurs hideuses dans les couloirs de leur école. Des éléments que j’ai essayé de rendre tangibles dans le court-métrage.
C’est votre premier court-métrage. Qu’est-ce que cela vous a fait de passer à une production professionnelle ?
C’était vraiment génial. J’avais fait mon projet de fin d’étude tout seul. Professionnellement, j’ai découvert des facettes de mon métier que je ne connaissais pas : le travail en équipe, la gestion d’un budget, qui paradoxalement m’a bien plu. C’est intéressant de travailler avec un budget en tête. Cela restait du court-métrage, ce n’était pas une grosse production mais un film de copains. C’était aussi agréable de voir des gens s’investir dans son histoire.
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Combien de temps cela vous a pris ?
En fait, ça dépend de beaucoup de variables, la phase de financement a duré deux ans environ. On écrivait les scénarios, on cherchait les financements (CNC, Arte…). Je n’étais pas totalement investi sur le projet à ce moment-là, je travaillais sur d’autres projets en parallèle. Après, on a passé un an sur la fabrication. On a commencé en janvier 2019 pour tourner jusqu’en septembre et il a fallu ensuite trois mois de post-production pour terminer le film en janvier.
Est-ce qu’il est représentatif de votre univers ?
J’écris des trucs un peu glauques. Mais je constate que mon travail est de moins en moins déprimant, même si tous mes films sont un peu dans ce ton là. Mon dernier projet reste désabusé mais apparaît plus joyeux à l’image. Je travaille beaucoup avec des répétitions graphiques, des couleurs froides. Mais globalement, je m’adapte au propos que je tiens. Pour Précieux, je voulais garder ce ton grave. Quand on fait un film sur un sujet social, c’est compliqué de faire un happy end. Personnellement ça me gêne. Je pense que montrer une possible solution à une problématique encore récente, c’est excuser ces problèmes.
Pourquoi le stop-motion ?
C’est un truc que je fais depuis que j’ai 13-14 ans. Ma sœur m’avait montré L’étrange Noël de Mr Jack, d’Henry Selick et Les Noces Funèbres, de Tim Burton. J’ai vu le making of, je voyais les gens qui fabriquaient des marionnettes : ça a été un réel choc. Un des plus gros coups de chance de ma vie a été ma rencontre avec Jean-Christophe Spadaccini, un monsieur qui fait des effets spéciaux pour le cinéma live [en opposition au cinéma d’animation]. Ces techniques sont semblables à celles utilisées en stop motion. J’ai eu la chance de voir son atelier d’effets spéciaux, qui ressemble beaucoup à un studio de stop motion. À Angoulême, j’ai ensuite rencontré Xavier Truchon avec qui j’ai beaucoup appris.

Paul Mas raconte avoir choisi le stop-motion pour la liberté qu’il permet. Photo : Fran Gondi
Cette technique me permet une plus grande liberté. De plus, le fait d’utiliser la voix de quelqu’un pourrait me mettre mal à l’aise alors demander à une autre personne d’utiliser leur corps, j’aurais une gêne profonde.
Quelles sont vos inspirations ? Vos modèles ?
Il y a deux films que je regarde en boucle, sans me lasser : Coraline, d’Henry Selick et Chicken Run, réalisé par Nick Park et Peter Lord. Sinon mes références cinématographiques vont plutôt du côté du cinéma live : Michael Haneke, Ulrich Seidl, j’aime aussi particulièrement le travail de Niki Lindroth Von Bahr, une cinéaste suédois qui travaille beaucoup en stop-motion. J’aime leur liberté de ton : ils ne se posent pas trop la question de la réception. Cela évite l’uniformité.
Quel était votre but en réalisant ce court-métrage ?
Je pense que je l’ai fait par culpabilité. Étant enfant, j’étais à la fois Emile et Julie mais à son âge, j’aurais fait comme Julie : la peur du rejet, des adultes… Le but de ce film était de nous mettre tous face à une responsabilité collective.
Je pense que c’est une somme de micro-lâchetés qui font que notre système dysfonctionne.
Je voulais aussi montrer que ces lâchetés dont on fait preuve se font car nous sommes dans un système qui le permet. Julie n’est pas la seule responsable. Enfants et adultes réunis sont tous les coupables. Cet aspect de l’histoire a été développé après une réécriture. Saïda Kasmi, script-doctor envoyée par le CNC nous a montré le potentiel de cette facette de l’histoire. La question de la collaboration dans les schémas de harcèlement est très importante pour moi, je la développe d’ailleurs dans un projet actuel.
Comment sortir de ce schéma d’oppression selon vous?
En acceptant de se faire avoir parfois. Je pense qu’il faut accepter de perdre. Si on part du principe où le système récompense des valeurs darwinistes au dernier degré, il faut accepter de ne pas être récompensé. Cela a fait partie de mes grosses désillusions de sortie d’école : certains qui s’en sortaient bien ne défendaient pas des valeurs d’empathie et de respect. Il faut accepter l’échec et le rejet comme étant gage de son éthique.
De plus, tout système implique un paria : aucun groupe social n’est innocent. Tout groupe possède son propre système de valeur, même les plus progressistes, les plus “woke”, et donc des personnes qui ne rentrent pas dans ce système là. Il faut donc se demander : est-ce qu’il est juste de garder ces personnes hors du groupe ? Un rejet ne se fait pas seul. Il émane d’un système. Il faut donc toujours être vigilant !
Propos recueillis par Justin Escalier et Sofiane Orus-Boudjema
Catégories :Auvergne, L'Evenement
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