Six questions sur la grève au journal “L’Équipe”

Du 9 au 22 janvier, L’Equipe n’était plus disponible dans les kiosques. La majorité des journalistes du quotidien de sport ont été en grève. À l’origine de la protestation, un plan de sauvegarde de l’emploi qui prévoit la suppression d’une cinquantaine de postes à la rédaction.

Des éditions du journal "L'Equipe". Photo : Juliane Delecroix

Des éditions du journal “L’Equipe”. Photo : Juliane Delecroix

 

Il est le seul quotidien de sport français, et pourtant, les passionnés ont dû se passer de leur “bible du sport” pendant deux semaines. Au lieu de lire les dernières informations sportives, les lecteurs fidèles ont compté les jours, en attendant le retour de L’Equipe chez les marchands de journaux. Cette grève fut inédite dans l’histoire du journal, puisque la dernière en date, d’une durée de neuf jours, remonte à mai 1968. 

1 – Que prévoyait le plan de sauvegarde de l’emploi ?

La direction de la SAS L’Équipe (société par actions simplifiée, qui regroupe le quotidien et ses magazines associés) avait déjà proposé un accord de performance collective dès l’été 2020. Au programme, une baisse généralisée des salaires, mais elle a été refusée par les salariés. Plus tard, à la fin de l’année dernière, un plan de sauvegarde de l’emploi a été annoncé, et a déclenché la grève. Quarante-sept postes de journalistes sont menacés, d’autant plus qu’il s’agit de départs contraints. “Les derniers embauchés sont les plus menacés”, explique un journaliste gréviste de L’Équipe qui préfère rester anonyme. 

2 – Quels sont les enjeux économiques du plan social ?

En 2020, la société L’Équipe a enregistré une perte de quatre millions d’euros. “Elle est quatre fois moins élevée que la prévision de la direction, qui était de seize millions d’euros”,  analyse Dan Perez, un autre journaliste gréviste et ancien représentant du personnel. D’après lui, les pertes de 2020 peuvent être gérées par l’entreprise : “Neuf millions d’euros de profits ont été générés rien qu’en 2019.” 

La direction explique pourtant que le plan social est indispensable pour économiser cinq millions d’euros et éviter six millions de pertes en 2021. “On ne peut que faire mieux cette année, puisque le sport continue malgré la crise sanitaire” pense le journaliste anonyme. La direction ne voulait pas négocier, il n’avait donc pas d’autres solutions que la grève, mais elle reste paradoxale. “Quatorze jours de non-parution, sans recettes publicitaires, ont aggravé aussi la situation”, ajoute-t-il. 

3 – Comment le plan social a-t-il affecté la rédaction du journal ?

Deux grands problèmes se posent : d’un côté celui des licenciements forcés, et de l’autre celui des moyens humains. “Comment continuer à produire un journal de qualité avec moins de journalistes ?” se demande le journaliste anonyme. En effet, le journal repose sur ses journalistes, qui sont essentiels à la création d’un contenu qui plaît aux lecteurs. Si chaque rubrique perd des journalistes, le traitement de l’information sera affecté. “On fait tout pour ne pas se focaliser sur l’actualité chaude, et essayer la production d’articles un peu plus magazine”, explique ce dernier. 

4 – Comment les journalistes ont-ils réagi ?

Quatre-vingts pourcents des journalistes ont accepté l’appel à la grève, alors que les autres continuent à produire du contenu pour le site web. Même si la grève est plus longue que celle imaginée, elle se poursuivra le temps qu’une négociation soit trouvée. “Je m’attendais à une semaine de grève, mais nous n’allions pas lâcher, sinon on envoyait le journal dans un mur”, s’attriste le journaliste anonyme. “On n’acceptera pas de départs contraints”, affirme Dan Perez. En effet, les revendications des grévistes sont légitimes, puisqu’ils se battent pour leur emploi et l’amour de leur journal. 

5 – Quelles ont été les réactions face à la grève ?

Les réseaux sociaux ont été le lieu de nombreuses réactions vis-à-vis de la grève. Depuis une dizaine de jours, de nombreux sportifs, confrères journalistes, et lecteurs ont manifesté leur soutien sur Twitter avec le hashtag #reviensviteLEquipe. Une lettre de soutien a été signée par plus de 365 acteurs du monde sportif, comme Tony Parker ou Pauline Ferrand-Prévot… Des signataires s’ajoutent chaque jour, et expriment leur manque du journal. La ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a aussi exprimé son soutien sur Twitter.

“Je suis agréablement surpris de voir la réactivité des sportifs et de mes confrères, c’est très sympa de voir ça”, déclare le journaliste anonyme. Les journalistes sont restés attachés à leur journal, et ont toujours eu envie de reprendre, “Si un accord est trouvé dans une heure, on y retourne directement”, se réjouissait Dan Perez. “Nous avions la meilleure volonté du monde pour revenir, c’était un crève-cœur”, déclare anonymement l’autre journaliste. 

6 – Pourquoi la grève a-t-elle pris fin ?

L’intersyndicale (SNJ, SNJ-CGT, UFICT-CGT, SGLCE-CGT) a trouvé un accord avec la direction du journal. En effet, les syndicats expliquent avoir obtenu “la garantie d’éviter tout départ contraint dans trois des catégories les plus exposées”, c’est-à-dire les maquettistes, les iconographes et les photographes. Cependant, d’autres catégories d’emplois ne sont pas sûres d’échapper aux départs contraints, surtout si le nombre de départs volontaires est insuffisant. Les syndicats restent très attentifs aux propositions de la direction. 

Le mouvement continue, même si la grève est terminée. Les syndicats et les journalistes n’excluent pas l’hypothèse de relancer la grève si la direction ne maintient pas ses accords. Mais pour l’instant, les amoureux du sport peuvent profiter de leur quotidien. 

Juliane Delecroix



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