Après bientôt un an de cours à distance en raison de la crise sanitaire du Covid-19, l’épuisement et la détresse psychologique priment dans l’enseignement supérieur. Entre manque de lien social, difficultés techniques et absence de perspective, les étudiants désespèrent de retrouver un jour les bancs de l’université.

Une étudiante travaille seule depuis son ordinateur comme tous les jours depuis le début du reconfinement. – Photo : Louis Colmagne
La peine des étudiants du supérieur atteint son paroxysme. En une semaine, ce sont deux tentatives de suicides qui ont sonné l’alarme dans les milieux universitaires. Ces drames témoignent tant de la solitude éprouvée, que d’un sentiment d’abandon de la part du gouvernement. Alors que le manque d’implication de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, suscite la colère des jeunes sur les réseaux sociaux à travers le hashtag “#etudiantsfantome”, la dernière conférence de presse de Jean Castex ne leur a pas donné tort.
3 suicides d’étudiant recensée en 2 mois l’Etat compte bouger un moment ou non ? #etudiantsfantome
— Tifenn (@TifennBnl) January 16, 2021
Après un long silence du Premier ministre à propos des universités, les mesures timides qui ont finalement été annoncées donnent à bon nombre d’entre eux l’impression d’être laissés pour compte. Un sentiment d’abandon qui vient s’ajouter à leur fatigue et à leur manque criant de lien social après plusieurs mois de cours à distance. Conséquence de ce contexte aux nombreuses difficultés, tant pour les élèves que les professeurs : des étudiants perdus qui peinent à maintenir leurs efforts pour s’impliquer dans leurs formations.
“Ce n’est pas normal de ne pas pouvoir travailler correctement”
La partie visible du problème est principalement l’inégalité à laquelle ils sont confrontés. Sur le plan technique d’abord, puisque bon nombre n’ont pas le matériel informatique nécessaire pour suivre correctement les cours en ligne. “Je n’ai pas une bonne connexion internet ni un ordinateur très performant donc les visios passent mal et buggent très souvent”, témoigne Octavie, en deuxième année de Science du Langage à Clermont-Ferrand, “c’est frustrant d’essayer de suivre un cours mais de ne pas y arriver…”. Parfois, les universités proposent de prêter des ordinateurs a ceux qui n’en ont pas, mais cela ne règle pas le souci du réseau.
Différentes formations sont particulièrement contraintes par le distanciel, à l’image des cursus artistiques. “Je devais faire des rendus numériques, mais je n’avais pas de scanner, déplore Thomas, ancien étudiant de Bellecour à Lyon, pour une école privée, ce n’est pas normal de ne pas pouvoir travailler correctement.”
Si les inégalités existaient déjà avant les cours à la maison, elles s’en sont trouvées accentuées. Pour Elodie, dyslexique sévère qui étudie l’art, “c’est plus simple en présentiel. On peut demander à répéter, poser des questions.”
“À distance, quand je travaille sur des enregistrements, je ne peux pas comprendre un accent ou un mot mâché.” – Elodie, étudiante
La diversité des problèmes techniques rend les classes hétérogènes. Pour les professeurs, c’est une responsabilité en plus de s’assurer que tout le monde puisse accéder au même cours. “Je passe quinze minutes par cours à faire des explications techniques, sans compter les problèmes de connexion, explique Julie Vanparys Rotondi, professeure à l’université de Clermont-Ferrand, il y a une perte de temps phénoménale.” Chacun répond donc à la contrainte à sa manière. La perte de cadre universitaire leur demande de s’adapter : enregistrement, document PDF, visioconférence…
Quand l’université s’invite à la maison
Plus que les aspects techniques, c’est surtout la perte de repères qui soulève le plus de difficultés. Pour Gabriel Van Dale, étudiant en Portail Humanité à Lyon, “à l’université, tout est prévu pour étudier, tout le monde est dans cette mouvance et c’est plus motivant, on est moins distrait.” Sans la structure et le cadre qu’offrent l’université, nombreux sont ceux qui se sentent perdus, et ne parviennent pas à maintenir une ambiance de travail favorable.
Souvent enfermés toute la journée dans des appartements exigus, les étudiants ne peuvent pas faire de réelles coupures. “J’ai beaucoup de travail et j’ai l’impression de ne jamais en voir le bout. Il m’arrive souvent de finir de travailler vers 4 heures du matin”, confie Benjamin, en formation de journalisme à l’IUT de Vichy.
L’intrusion de l’université dans la sphère intime bouleverse les repères. Impossible alors de séparer vie personnelle et universitaire et de conserver un rythme de vie habituel. “Je travaille principalement la nuit sauf pour les cours qui ont lieu la journée”, précise Gabriel. “Ce sera difficile de retrouver un rythme de vie normal, tout est bouleversé : il faudra remanger le soir à des heures correctes, se lever plus tôt…”, complète Marie, étudiante en Science de l’Éducation à Limoges.
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Cette absence de frontière entre études et repos est accentuée par une surcharge de travail commune à la plupart des formations universitaires. A la fatigue habituelle s’ajoutent des conditions de travail singulières, notamment l’omniprésence des écrans. Les maux de tête sont devenus monnaie courante et beaucoup se plaignent d’avoir les yeux lourds, de ne pas réussir à trouver le sommeil. Des difficultés auxquelles le corps enseignant est aussi confronté. “Je disais souvent qu’avec mes étudiants on ressort moins fatigué de deux heures de cours qu’en y rentrant, à distance c’est l’inverse”, regrette Marc Pougheon, professeur à l’université Clermont-Auvergne.
“Les visioconférences sont difficiles à suivre. Le cerveau doit simuler un physique qui n’est plus là : tout doit être réactualisé”, décrit Olivier Duris, psychologue clinicien. “Il faut faire un effort supplémentaire pour simuler la présence de l’autre et notre présence à l’autre, avec des données qui ne sont pas à l’état habituel : on ne peut pas regarder l’autre dans les yeux, souvent la voix est modifiée, il y a de la latence…”
“Je ne fais pas ce métier pour enseigner à des initiales sur un écran”
A force de fatigue, les étudiants décrochent. “Je n’arrive pas à me concentrer : rester 1h30 devant son écran chez soi est très long, témoigne Esmeralda, en MMI à Limoges, et souvent il n’y a pas d’interaction avec les professeurs.” D’après Laurie Fortin, psychologue, “cette situation implique une posture de passivité de l’apprenant. Il n’y a pas du tout les conditions pour être dans l’apprentissage.”
Alors que l’échange avec le professeur et les camarades de classe est crucial pour étudier et faire avancer le groupe, il souffre de l’intermédiaire de la plate-forme. “L’aspect technique altère la qualité de l’échange et sa rapidité”, rappelle Julie Vanparys Rotondi. Les étudiants sont trop timides pour participer ou ne se sentent pas suffisamment impliqués. “J’ai le sentiment que le cours est une vidéo que je regarde en direct”, admet Camille, étudiante en journalisme à l’IUT de Vichy.
“J’ai l’impression d’être spectatrice sans être actrice.” – Camille
“Les discussions spontanées en classe n’existent plus”, déplore Marc Pougheon. “Les cours à distance empêchent la co-construction du savoir. C’est dur, car je ne fais pas ce métier pour enseigner à des initiales sur un écran.” Symptôme de ce sentiment de n’être plus que spectateur de ces échanges, les webcams ont cessé d’être utilisées, si elles ne l’ont pas jamais été.
Dans un thread publié sur Twitter le 9 décembre, Flaminia Paddeu, maîtresse de conférence à la Sorbonne, revient sur les nombreuses raisons qui expliquent que les profs sont souvent confrontés à un écran vide de visages. Des raisons familiales mais aussi des raisons techniques, une intrusion de plus dans l’intimité, l’absence de règles régissant cet aspect du cours ou le droit à l’image sont invoqués pour justifier un faible recours aux webcams. “On ne peut pas savoir si quelqu’un enregistre ou prend une photo, ça ne met pas très à l’aise”, témoigne Elodie. Octavie, elle, vit dans une famille de six personnes : “Je n’ai pas d’espace personnel, il y a toujours des gens autour de moi.”
4/ La caméra donne à voir des visages et des corps dans une situation où l’intime est projeté sur écran: être dans son lit, en pyjama, venir de se lever, pas coiffé·e, fumer… C’est s’exposer aux regards des autres, prof ou étudiant·e·s, tt en voyant son propre visage en continu
— Flaminia Paddeu (@Flaminiapad) December 9, 2020
Ne pas mettre sa webcam est aussi un moyen de s’affranchir du regard du professeur et de celui de ses camarades. “Mettre sa caméra demande beaucoup plus d’énergie. On a le sentiment qu’on doit être impeccable”, décrit Camille. Un ressenti partagé par Benjamin : “Quand on met notre caméra, inconsciemment on est davantage concentrés sur l’image que l’on renvoie, à regarder en bas de l’écran ce que les autres voient.”
Quelles qu’en soient les raisons, cette perte de lien visuel renforce la séparation élèves/professeurs. “La communication est plus froide, moins agréable sans les visages”, regrette Julie Vanparys Rotondi. “J’ai parfois l’impression d’être une foldingue qui parle dans le vide devant son ordi.”
“Il n’y a plus de sas de décompression”
Le contact régulier entre étudiants et professeurs est au mieux considérablement réduit, parfois totalement rompu. Plus globalement, les jeunes se retrouvent isolés, “sans espace de discussion pour s’exprimer face à leurs difficultés”, d’après Olivier Duris. Et c’est pire pour les “premières années”, qui, pour les plus chanceux, n’ont été que deux mois à l’université. “Le lien social est fondamental pour la construction psychique”, précise Laurie Fortin, c’est comme ça qu’on construit notre esprit critique.” Et l’absence de vie étudiante rend plus difficiles à supporter les angoisses liées aux études.
“Il n’y a plus ce sas de décompression qui est le chemin entre la fac et le domicile” – Olivier Duris, psychologue clinicien.
Toutes ces difficultés font plonger le moral des jeunes. Une enquête réalisée en avril par le Centre National Ressources et Résilience au sujet de la santé mentale des étudiants lors du premier confinement révélait notamment que 11,4% d’entre eux avaient eu des pensées suicidaires. Un chiffre parmi d’autres qui, s’il est difficile d’établir une comparaison en l’absence d’études similaires antérieures, ne manque pas d’inquiéter.
Près d’un élève sur deux se dit avoir au moins un symptôme d’un trouble de la santé mentale depuis le premier confinement – Infographie : Coline Cornuot
Pour faire face à cette détresse psychologique, le gouvernement a annoncé réfléchir à mettre en place un chèque santé mentale et doubler le nombre de psychologues dans les universités. Une mesure qui reste encore largement insuffisante puisqu’aujourd’hui, on compte un psychologue pour 30 000 étudiants.
Un manque criant de reconnaissance
Le sentiment d’abandon est quasi omniprésent dans les discours des étudiants. A échelle réduite, les étudiants se sentent délaissés par leurs administrations ou leurs professeurs, lorsque ceux-ci ne leur font pas de retour sur leurs travaux. “J’ai l’impression de travailler dans le vide”, explique Benjamin. Plus largement, le manque de communication et de reconnaissance du gouvernement au sujet de leur situation leur donne une impression tenace d’être les grands oubliés des plans successifs de retour à la normale. Et ce manque de considération couplé à une situation qui n’a de cesse de s’éterniser entraîne de profondes remises en question et une absence de perspectives sur le long terme.
“C’est vraiment dur moralement, on se demande si on a vraiment envie de continuer ça, si on ne s’enfonce pas dans quelque chose qui ne mène à rien”, déplore Camille. Après près d’un an de cours à distance, le moral de tous est au plus bas et la situation devient insoutenable. “Ça tient un temps mais pas sur le long terme : l’humain a besoin de construire, d’avancer et donc a besoin d’être dans l’action”, souligne Laurie Fortin.
Le début de la campagne vaccinale et les premiers retours en présentiel pour les étudiants de première année apportent de l’espoir, car tous n’attendent qu’une chose : un retour complet dans les amphithéatres. Pour l’heure, étudiants comme professeurs n’en peuvent plus et ne voient pas le bout de cette situation. Molly, en Staps à Limoges, résume : “Quand je m’installe devant mon ordi le matin, j’ai pas envie, je me dis ‘ça nous avance à quoi’ ?”.
Coline Cornuot et Armand Pagniez
Catégories :L'Evenement, Plus Loin
Vraiment un très bon article, qui décrit bien la situation (et c’est pas parce que je suis cité dedans que je dis ça !) Bon courage à tous les étudiants, vraiment vous avez beaucoup de mérite à persévérer comme vous le faites !