Confinement : à l’approche du Black Friday, les petits commerçants restent dans le flou

Initialement prévu ce vendredi 27 novembre, soit le lendemain de Thanksgiving, le Black Friday s’est imposé en France comme une journée importante pour les commerçants. Mais avec la situation sanitaire en cours, difficile de prévoir comment va se dérouler cette édition 2020, si tant est qu’elle se déroule.

En 2020, un Black Friday qui ne sera pas comme les autres. Photo : SOPA Images/SIPA

En 2020, un Black Friday qui ne sera pas comme les autres Photo : SOPA Images/SIPA

Y aura-t-il un Black Friday, cette année, en France ? C’est la question que se posent non seulement les consommateurs, mais aussi les commerçants, du petit magasin de centre-ville aux géants du e-commerce. Avec le contexte actuel, une crise sanitaire qui a engendré une crise économique majeure, la tenue du Black Friday 2020 est encore discutable. Initialement prévue pour le 27 novembre, il se pourrait bien que la date soit repoussée au 4 décembre. Le sujet est sur la table du gouvernement depuis quelques jours et aucune solution n’a été encore dévoilée. Certains ont déjà retardé la date du Black Friday, d’autres l’ont annulé, et beaucoup continuent d’attendre. Le monde du commerce est dans le flou, à quelques jours de la date fatidique. 

Petit point historique tout d’abord : le Black Friday est né aux États-Unis au début des années 1960. Il est organisé le vendredi qui suit la fête de Thanksgiving. L’histoire raconte que les commerçants américains utilisaient alors de l’encre noire pour noter leurs comptes positifs, d’où l’appellation « Black Friday ». Popularisée par de grandes enseignes qui l’ont lancé en France au début des années 2010, cette journée commerciale a vite conquis les consommateurs et commerçants français.

Une journée très attendue… et très animée

Depuis 2013, la part de la population française qui réalise des achats lors du Black Friday ne cesse d’augmenter. Un sondage BVA montre qu’en 2019, 62% des Français ont acquis des biens lors de ce week-end de promotions. Selon RTL, environ 56 millions de transactions bancaires ont été réalisées, un record. Cela représente plus de 600 opérations par seconde ! Pour l’édition 2019 toujours, les Français ont dépensé près de 5,9 milliards d’euros, dont près de 1 milliard en ligne et 4,9 milliards en magasin, d’après un rapport de CRR Report. La part de la vente en ligne a progressé de 120% entre 2013 et 2019 sur ce week-end de fin novembre. Tous ces achats représentent approximativement 2% du chiffre d’affaires annuel du e-commerce.

Quelques chiffres pour illustrer l’importance du Black Friday en France. Illustration : Oberlo

Quelques chiffres pour illustrer l’importance du Black Friday en France. Illustration : Oberlo

Alors, avec de tels chiffres, difficile d’imaginer que les commerçants se privent de l’occasion exceptionnelle que représente le Black Friday. Cependant, 2020 n’est pas une année comme les autres. Depuis le 30 octobre, les commerces dits « non-essentiels » sont fermés. Une fermeture qui devait durer jusqu’au 1er décembre, au moins. Un mois entier sans clientèle dans les rayons donc, le mois de novembre étant qui plus est habituellement très lucratif, à l’approche des fêtes de fin d’année. Un exemple marquant : pour les magasins de jouets, qui réalisent près de la moitié de leur chiffre d’affaires lors des deux derniers mois de l’année, le manque à gagner s’élève à 770 millions d’euros, selon une étude du cabinet NPD Group. Un gouffre dont se passeraient bien les commerçants, déjà fragilisés par le premier confinement du printemps.

Les commerçants de proximité, entre doutes et incompréhension

Florence Desvignes fait partie des commerçants qui attendent impatiemment ce Black Friday. Propriétaire depuis 42 ans du magasin de vêtements vichyssois « Les Deux Chambres », elle espère avoir l’autorisation d’ouvrir sa boutique pour l’organiser. Cette journée promotionnelle représente beaucoup pour son commerce. « Un impact énorme », avoue-t-elle, à quelques semaines de Noël. En cas de réouverture après le Black Friday, « je vais louper près de 12 000 euros de chiffre d’affaires. ». Surtout, ce qui énerve Florence, c’est le comportement des e-commerces. « Je suis anti-Amazon, il ne faut pas m’en parler. Moi, si on ne me fait pas ouvrir rapidement et que tous les sites de e-commerce se gavent avec le Black Friday, je vais péter un câble. Eux ils se gavent et nous on est fermé », s’insurge-t-elle.

Sous le feu des projecteurs (et surtout des critiques), les géants du e-commerce devraient donc logiquement être les grands gagnants de la situation actuelle. Amazon, C-Discount, Veepee, Rakuten… tant de multinationales qui vont voir leur nombre de clients exploser cette année. Et cela ne plaît pas à tout le monde, à commencer par les premiers touchés : les commerçants de proximité. Après un printemps extrêmement rude au niveau économique, ces derniers doivent désormais subir une concurrence impitoyable en plus de ce nouveau confinement. Un mécontentement général qui se traduit par des manifestations dans les grandes villes de France.

>> À lire : Confinement : le combat des petits commerces pour conserver leur activité

Les commerçants demandent simplement l’annulation du Black Friday, ou une réouverture rapide. Ils ne comprennent pas en effet les décisions de l’exécutif de laisser fermés les commerces « non-essentiels ». Pour Florence, « il y a plein d’incohérences et quand je vois le monde agglutiné dans les grandes surfaces, ça me rend dingue. » Malgré l’espoir d’une réouverture rapide pour retrouver son magasin, elle reste prudente sur la reprise économique du secteur et pense qu’un troisième confinement est déjà prévisible.

« Les règles sanitaires sont respectées, j’ai investi des sommes faramineuses pour ça : gel hydroalcoolique, marquage au sol, panneaux de signalisation, etc… » – Florence Desvignes, propriétaire du magasin “Les Deux Chambres”

Abdel Bouchareb, lui, n’a jamais organisé de journée « Black Friday ». Propriétaire du magasin « Hutchis », spécialisé dans la vente de skateboard et de vêtements à Vichy, il ne veut pas inciter à la surconsommation liée à des promotions toujours plus extravagantes : « On habitue trop les gens à ce qu’ils aient des promotions constamment. À force, ils ne viendront que lorsqu’il y en a et je ne trouve pas ça équitable pour mes clients qui respectent les dates des soldes. » Malgré cela, Abdel reste inquiet quant à la santé des commerces en général, et de la concurrence des e-commerces : « Ce qui m’inquiète le plus vis-à-vis de la vente en ligne, c’est que les marques proposent sur leur site des produits que l’on n’a pas forcément, et ces sites Internet ont aussi plus de visibilité. »

« Je fais un peu comme tout le monde, je subis et j’attends. »  – Abdel Bouchareb, propriétaire du magasin “Hutchis”

Pour lutter et pour continuer d’exister face à la crise, les commerçants ne sont pas avares d’initiatives. À Vichy, les commerçants peuvent exposer leurs produits disponibles en click-and-collect ou en livraison en direct sur la page Facebook Vichy Commerce. Chaque semaine, un planning est organisé pour donner à chaque commerce un temps de démonstration afin d’inciter les Vichyssois à acheter chez leurs commerçants de proximité.

Un planning hebdomadaire, avec des horaires pour chaque commerçant vichyssois, pour promouvoir les magasins locaux. Illustration : Vichy Commerce

Un planning hebdomadaire, avec des horaires pour chaque commerçant vichyssois, pour promouvoir les magasins locaux. Illustration : Vichy Commerce

Pour contrer ce Black Friday, certains n’hésitent pas à aller à contre-courant de cette journée commerciale. Abdel profite par exemple de cette journée spéciale pour aider les plus démunis : « Je fais toujours une opération durant le Black Friday : pour 50 euros d’achat, j’offre un bonnet à des personnes qui sont sans-abri et dans le besoin. Cette année ne déroge pas à la règle. C’est ma façon de procéder. » D’autres décident tout simplement de ne pas proposer de promotions pour ne pas inciter à la surconsommation. Un exemple suivi par quelques grandes enseignes, notamment Kiabi, qui a décidé en échange de reverser 1% de ses revenus à l’association Les Restos du Cœur.

Acheter en ligne ou à côté de chez soi ?

Du côté des consommateurs, le choix est cornélien. Faut-il privilégier les petits commerces en soutien à leur fermeture, ou faut-il maintenir ses habitudes en commandant en ligne avec des offres très attractives ? Selon un sondage réalisé par Diffusis France pour Channable, 72 % des Français interrogés disent vouloir profiter du Black Friday. À cause du deuxième confinement en vigueur depuis le 30 octobre, la majorité des Français sondés (76%) vont se tourner vers les sites d’e-commerce pour profiter d’une offre plus conséquente et intéressante. Parmi les répondants, 25% assurent néanmoins qu’ils se montreront sensibles aux offres des petits commerces.

Avec le confinement, la majorité des Français devrait faire ses achats du Black Friday via les sites de e-commerce. Tableau : LSA-Conso

Avec le confinement, la majorité des Français devrait faire ses achats du Black Friday via les sites de e-commerce. Tableau : LSA-Conso

Parmi eux, il y a Anna, une étudiante vichyssoise habituée aux commerces physiques. Amatrice de shopping, elle « aime bien chercher parmi tout ce qui est en vente et trouver la bonne affaire dans les commerces. » Pour elle, le Black Friday n’est qu’une occasion de plus d’économiser lors de ses achats, mais n’est pas un rendez-vous incontournable. Sauf que cette année, les choses pourraient bien changer : « J’ai toujours plus eu l’habitude d’aller faire les soldes dans des magasins directement. Cette fois-ci, je compte commander en ligne les produits que j’avais prévu d’acheter, mais seulement pour des produits que je ne peux pas trouver dans des magasins de proximité. » Acheter en ligne est plus une nécessité qu’un choix pour Anna : « Moralement, je choisirai toujours les produits des petits commerces, mais je suis étudiante et je ne peux pas toujours me permettre de payer un produit plus cher si mon budget est serré. Je pense donc qu’il faut voir ça au cas par cas. »

Michèle, quant à elle, est une cliente accoutumée au Black Friday en ligne. Malgré la situation difficile des petits commerçants, elle ne compte pas changer ses habitudes pour autant : « C’est un peu compliqué de privilégier les petits commerces aujourd’hui. Pour certains commerces où j’ai l’habitude d’aller, je commanderai peut-être sur leur site pour les aider, mais honnêtement je pense que je vais rester sur Amazon. Je ne vais pas me forcer à acheter des choses que je ne veux pas juste par principe de solidarité. » À travers le géant du e-commerce Amazon, elle voit des opportunités commerciales souvent immanquables : « Avec mon abonnement Amazon Prime, j’ai déjà de base beaucoup de réductions. Cumulez à cela le Black Friday et les prix sont exceptionnellement bas. » 

« C’est une belle occasion pour faire de bonnes affaires. » – Michèle

Le sujet sur lequel les deux Vichyssoises s’entendent en revanche, c’est la colère et les difficultés des commerçants de centre-ville : « Bien sûr que leur mécontentement est compréhensible. Les petits commerces fragiles qui dépendent de périodes de l’année comme le Black Friday pour survivre sont obligés de renoncer à de grosses rentrées d’argent », selon Anna. « Les grandes multinationales, qui ne risquent pas de disparaître à cause du confinement, font des bénéfices encore plus importants. Les petits commerces sont sacrifiés. » Michèle s’inquiète du manque de visibilité des commerçants de proximité en ligne : « J’imagine que ce n’est pas tout le monde qui a la possibilité de faire un site, ou de proposer le “click-and-collect”, par manque de personnel. Dans cette situation où tout est fermé, je pense que les gens vont se ruer sur Amazon à l’approche de Noël. »

L’exécutif encore dans le brouillard

Vous l’aurez compris, ce Black Friday 2020 pose problème et ne fait pas l’unanimité. Alors quelles solutions seraient envisageables pour le gouvernement ? En pratique, il est impossible pour l’exécutif d’annuler cette journée promotionnelle. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a déclaré qu’il n’avait pas la capacité de l’interdire : « Le Black Friday est une opération promotionnelle d’ordre privé, j’invite les commerçants et les distributeurs à discuter entre eux pour savoir quelle solution ils veulent apporter sur le Black Friday. La responsabilité de l’État, ce sont les soldes. » Le gouvernement a proposé aux distributeurs de repousser cette journée au 4 décembre. Une date déjà adoptée par Amazon France. Bruno Le Maire reste aussi optimiste quant à l’élaboration d’un « protocole sanitaire pour l’ensemble des commerces et l’ensemble de la grande distribution » avant le Black Friday. Cela pourrait permettre une réouverture des magasins plus tôt que prévu.

L’optimisme n’est pas partagé par Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie, qui estime qu’il « ne faut pas faire d’ouverture et de fausses promesses ». Même prudence pour le Ministre de la Santé, Olivier Véran, qui ne voit pas encore les conditions réunies pour une réouverture des commerces avant la fin novembre. Au niveau du Parlement, de nombreux députés plaident pour une annulation de la date du Black Friday. C’est le cas d’un groupe mené par la députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho, à l’origine d’une initiative qui vise directement cette période promotionnelle de fin novembre. À ses côtés, une vingtaine de parlementaires qui ont écrit à Jean Castex pour interdire le Black Friday 2020 pour concurrence déloyale.

Une pétition a également été lancée par le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin contre l’entreprise Amazon. Une initiative qui se nomme #NoëlSansAmazon, et qui regroupe déjà les signatures de nombreuses personnalités, dont la maire de Paris, Anne Hidalgo, ou encore le député du parti « La France Insoumise » François Ruffin.

Face au mécontentement des commerçants du centre-ville à l’égard des géants du e-commerce, le gouvernement veut trouver des solutions. Cela se traduit notamment par le passage en ligne des petits commerces. Bruno Le Maire indique en effet que la bonne solution est d’encourager la numérisation. Pour cela, le ministère propose une aide de 500 euros aux 120 000 entreprises concernées par la fermeture due au confinement et référence toutes les solutions de numérisation sur son nouveau site clique-mon-commerce.gouv.fr. L’objectif du gouvernement est d’arriver à numériser 50% des commerces d’ici 2021. Une aide dont va bientôt pouvoir profiter Abdel Bouchareb, malgré quelques inquiétudes : « Cela va nous permettre d’amortir un petit peu les pertes car la période n’est pas extraordinaire pour nous. » 

« En ce moment, en France, on a la possibilité d’avoir pas mal d’aides de la part de l’État mais j’espère qu’il n’y aura pas de retour de bâton dans quelques années. » Abdel Bouchareb, commerçant

D’ici là, de nombreuses questions persistent sur la tenue du Black Friday en France et sur la réouverture éventuelle des commerces dits “non-essentiels” pour le 27 novembre. À l’heure actuelle, les commerces attendent une possible annonce du Président de la République ou du Premier Ministre d’ici les prochains jours. Emmanuel Macron doit justement s’adresser aux Français mardi soir…

Antonin Albert et Dorian Grangier



Catégories :Plus Loin

Tags:, , , , ,

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

%d blogueurs aiment cette page :