Morlaix et Saint-Etienne. Deux villes, deux régions et deux situations épidémiques très différentes. Morlaix reste pour l’instant à l’abri, alors que Saint-Etienne est fortement touchée. Mais ces deux villes partagent une chose : la mise en confinement décrétée fin octobre. En Bretagne ou dans La Loire, les petits commerçants luttent pour ne pas mettre, définitivement, la clé sous la porte.
Pour la deuxième fois de l’année, les mots du président Emmanuel Macron ont résonné dans la plupart des foyers français. C’est «en larmes» que Marie Mansuy, propriétaire du magasin de jeux de société Au Tapis Vert, a accueilli cette annonce, le mercredi 28 octobre. Moins strict que le premier, ce deuxième confinement réveille toutefois la même colère, celle des petits commerçants dits « non-essentiels », contraints une nouvelle fois, de tirer le rideau.

Données récoltées sur le site du gouvernement. Graphique réalisé par Ornella Gache
Seules les grandes surfaces sont autorisées à ouvrir et les petits commerces en difficulté cherchent des solutions pour continuer leur activité. Ceux qui ont réussi à maintenir leur boutique ouverte dénoncent, plus encore que lors du premier confinement, la vente de produits « non essentiels » par les grandes surfaces, alors qu’ils sont condamnés à fermer. Le gouvernement accède à leur souhait : tous les rayons « non essentiels » des grandes surfaces sont fermés. Les commerçants n’ont plus qu’à trouver d’autres solutions pour le maintien de leur activité.
Une situation difficile à comprendre
A Saint-Etienne, le maire Gaël Perdriau a refusé de publier un décret pour autoriser les commerces à ouvrir. Il juge cette manœuvre « illégale » et « ne veut pas donner de faux espoirs aux commerçants » qui seraient condamnables. De leur côté, les petits commerçants oscillent entre colère et incompréhension. Marie explique qu’elle vit ce nouveau confinement comme une « mise au bûcher ». Son magasin vieux de 117 ans « a survécu à deux grandes guerres et là on a l’impression qu’il peut partir en un claquement de doigt ».

Le magasin Au Tapis Vert, dans le centre-ville de Saint-Etienne.
Beaucoup de commerces ayant fait des efforts pour respecter le protocole sanitaire dans leurs boutiques ne comprennent pas cette décision brutale. « Ce n’est pas dans un magasin qu’on va se contaminer, explique Marie, à ce moment-là, il aurait fallu arrêter les transports en commun. » Steven Masse, coiffeur, comprend quant à lui la fermeture, mais la trouve « disproportionnée vu l’effort des commerces pour pouvoir accueillir du public tout en respectant les règles d’hygiène ». De plus, l’annonce du président a provoqué une ruée chez les coiffeurs le lendemain, dernier jour d’ouverture, où Steven confie qu’il était « plus difficile de respecter la distanciation sociale ».
Marie souligne qu’il existe d’autres alternatives comme la réservation ou faire rentrer les clients par petits groupes. Elle propose la solution adoptée en Catalogne. La région « a fait fermer les magasins de grandes distributions pour laisser les petits commerçants ouvrir ». Selon elle, le gouvernement « est en train de tuer les petits centres-villes». L’aide de 10 000 euros de l’Etat lui paraît « ridicule par rapport au chiffre d’affaires habituel en cette période ».
Du côté de la Bretagne, ce sont « dévastés, mais pas surpris », que le frère et la sœur Tatiana et Romain Allaire, propriétaire de la librairie A la Lettre Thé, se sont résignés à fermer. Selon eux, cette annonce aurait « dû être faite dix jours plus tôt, et se généraliser à l’ensemble des commerces », supermarchés compris.

La librairie A la Lettre Thé se trouve en plein centre ville de Morlaix (29).
Pour Sandrine Le Gall, 45 ans, gérante de la boutique de lingerie haute gamme Mutine depuis une dizaine d’années, le constat est le même. La fermeture a provoqué chez elle « beaucoup de colère, de rage, mais surtout une grande injustice. Du plexi, du gel était à disposition des clientes. Ici, tout était fait pour ne pas générer le Covid ». Installée dans la galerie commerciale du Leclerc à Morlaix, c’est avec désespoir qu’elle constate le comportement de certains habitants qui passent devant sa boutique « avec le masque sous le nez alors [qu’elle est] contrainte de fermer ». Une incompréhension encore plus forte alors qu’ils ne sont que deux commerçants de la galerie à avoir fermé boutique pendant ce confinement. « Il y a encore beaucoup de monde à déambuler dans la galerie, avec le cordonnier, le bureau de presse – tabac… et bien sûr le supermarché. Seul le coiffeur et moi-même sommes privés de notre activité, alors que ce n’est pas nous qui propageons le Covid ! »
Le flou de l’appellation “bien essentiel”
Quels biens peut-on considérer comme essentiels ? La nourriture, bien évidemment. Mais aujourd’hui, après l’expérience de l’isolement du confinement, se pose la question de la santé mentale. Steven Masse, coiffeur, pense que son activité peut relever de la « santé psychique et du bien-être d’une personne, au même titre que faire du sport ou fumer, ça revient à se demander si le bien-être est essentiel ». Marie considère elle que « le jeu pendant un confinement, il n’y a rien de tel pour se rassembler en famille ».
L’appellation “bien essentiel” suscite en tout cas beaucoup de colère chez certains commerçants, comme pour Sandrine Le Gall, 45 ans, la gérante de la boutique de lingerie haute gamme Mutine. Même si elle a décidé de « s’aligner avec les décisions gouvernementales », la quarantenaire ne cache pas son incompréhension : « Les femmes ont besoin d’un maintien et d’un grand confort dans leurs sous-vêtements, et ce tous les jours. Pour certaines aux formes et aux poitrines généreuses, il est nécessaire d’avoir un bon soutien-gorge pour travailler. Ça ne va pas s’arrêter avec le confinement ».
Du côté des librairies aussi, la notion « non essentielle » est encore difficile à comprendre. Si la lecture permet de se libérer l’esprit en ces temps confinés, la fermeture des librairies indépendantes est apparue comme incohérente. « C’est entre déception et colère que l’on a appréhendé le fait de ne pas être considérés comme essentiel. Pour certains de nos clients, lire un livre est vital. »
Un triste cadeau de Noël
Avec l’approche des fêtes de fin d’années, l’étau se resserre autour des commerçants. La décision du gouvernement de fermer tous les rayons non essentiels dans la grande distribution a été appréciée des petits commerces, qui y trouvait une concurrence déloyale, surtout à l’approche des fêtes. En effet, c’est à cette époque que Marie, du magasin de jeux de société Au Tapis Vert, réalise le gros de son chiffre d’affaires, 200 000 euros en prévision sur ces 2 mois : « C’est la période qui nous permet de faire vivre le magasin toute l’année. » Steven Masse espère quant à lui pouvoir rouvrir pour les fêtes, même laisse transparaître une pointe de lassitude.
« Il y aura probablement une très forte demande, comme après le premier confinement, ce qui est plutôt positif mais aussi très fatigant. » – Steven Masse, coiffeur.
Cette année Noël aura un goût amer pour tous « les petits », comme l’indique le duo des libraires morlaisiens qui s’attend au pire : « Pour nous, c’est déjà plié, car la morosité est déjà bien installée parmi les consommateurs ». Les propriétaires de la librairie installée en centre-ville, appréhendent plus que jamais ces prochains mois, alors que l’industrie du livre subit depuis quelques années de grandes pertes avec l’avènement de l’achat en ligne. Amazon est en effet le grand gagnant de cette crise et tous s’accordent sur ce sujet. Pour les deux libraires, « Amazon ne devrait pas être autorisée à vendre en France. Cette entité tue l’emploi, tue les petits commerces ».
Côté lingerie, la gérante n’en pense pas moins. Pour elle et son commerce, « il n’y aura pas de fêtes de fin d’année ! ». Sandrine Le Gall a reçu de nombreuses propositions depuis le premier confinement de la part d’Amazon pour mettre en vente ses produits. Des propositions insistantes, qualifiées « de harcèlement », qu’elle décline sans cesse, avant de préciser : « Ce sont les géants qui sont en train de nous manger. On est là pour gagner notre vie respectablement ».
Le recours au “click & collect”
Tous essaient alors de trouver des solutions. Rémi Marandon et Maxime Pascal faisaient auparavant partie d’une agence web qui travaillait sur des sites de centre commerciaux. « Nous avons eu une prise de conscience il y a un an : nous voulions mettre notre savoir-faire au service de petits commerçants », explique Rémi. Suite à la fermeture de petits commerces, surtout en centre-ville, ils créent la plateforme Mes Commerces Ligériens en juillet, une solution de Click & Collect pour les commerces du département de la Loire.
Bien sûr, l’offre a surtout enthousiasmé après l’annonce du confinement : « Nous avions dix commerces partenaires avant le 28 octobre. La semaine d’après, une vingtaine nous ont contactés. » Rémi explique que cette plateforme est faite pour durer. Elle est bien sûr encore plus pertinente aujourd’hui mais il souligne que « pour les petits commerçants, leur visibilité sur Internet est essentielle. Aujourd’hui, on achète quelque chose en 10 minutes sur Amazon dès qu’on a un moment de libre. Aller en commerce est plus chronophage. » Cependant, cette plateforme ne proposera pas de livraison, uniquement du Click & Collect, qui permet aux clients de venir récupérer leur commande sans rentrer dans le point de vente. Rémi explique qu’ils ont fait ce choix pour « redynamiser les centres-villes » et cela permet au client « d’avoir une relation, un SAV, des conseils ». Il peut aussi voir le produit avant de l’acheter, ce qui évite les colis retours.
Transition numérique
Comme un mal pour un bien, ce néo confinement aura tiré des conclusions du premier. Pour certains, il s’agit de continuer ce qui avait été mis en place au printemps dernier. Marie, propriétaire de Au Tapis Vert, avait déjà mis en place un Click & Collect lors du premier confinement, qui avait « un peu marché ». Elle espère que cette initiative va être plus appréciée à l’approche de Noël mais souligne que « ça ne sera jamais suffisant. »
« On ne sauve même pas les meubles. » – Marie, propriétaire d’un magasin de jeux de société
La librairie morlaisienne essuie quelques difficultés de logistique, pour « réceptionner les livraisons, faire connaître à nos clients notre stock de livres sans site internet, délais des commandes ». Mais ces commerçants ne baissent pas les bras, cette fois-ci les commandes devraient continuer d’affluer car « la chaîne du livre ne devrait pas s’arrêter ». Assez pour mettre en place un drive « deux à trois matinées par semaine et une après-midi de livraison. » Les coups de cœur de ce duo sont aussi présentés sur les réseaux sociaux, de quoi donner envie aux acheteurs de « craquer avant Noël ».
Pour d’autres, il s’agit d’accélérer la transition numérique de la boutique. Sandrine Le Gall a, depuis une semaine, repris son site internet qu’elle avait créé lors du premier confinement. « J’essaye de me mettre au niveau avec mes petits moyens », souffle la gérante en proposant à ses fidèles clientes un mode de drive et de livraison. Une alternative compliquée lorsqu’il s’agit de prêt-à-porter, mais la commerçante souhaite se « donner tous les moyens pour ne pas couler ». De quoi offrir à la boutique morlaisienne une autre visibilité et un apport de nouvelles clientes, alors qu’un colis vient d’être envoyé à Lille.
Dans tous les cas, Danielle, retraitée stéphanoise, aura son mot à dire. Elle souhaite sauver les petits commerces de son centre-ville et se dit « prête à acheter en Click & Collect pour [ses] achats de Noël » dans cette période spéciale où elle « ne veut pas faire de longues queues dans les grandes surfaces ». Chyrine Ben Azzouz, étudiante brestoise, est du même avis. La jeune femme, qui « apprécie énormément l’authenticité propre aux petits commerçants », souhaite profiter du Click and Collect pour les fêtes de fin d’année. Avec l’aide de clients engagés comme Danielle et Chyrine, les petits commerces vont tenter de surmonter cette mauvaise période.
Ornella Gache et Jade Sauvée
Catégories :Plus Loin
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