L’otage Sophie Pétronin sacrifiée par la France ?

À travers un communiqué, les proches de Sophie Pétronin ont affirmé avoir une preuve de vie “fiable” de la dernière otage française dans le monde. Enlevée en décembre 2016, à Gao, au Mali, sa libération reste pourtant compromise et symbolise l’inflexible doctrine de l’Etat français. 

Comme ici en direct sur BFMTV, Sébastien Chadaud-Pétronin interpelle régulièrement le gouvernement français pour libérer sa mère Sophie Pétronin (à droite). Capture d’écran site BFMTV.

Comme ici en direct sur BFMTV, Sébastien Chadaud-Pétronin interpelle régulièrement le gouvernement français pour libérer sa mère Sophie Pétronin (à droite). Capture d’écran site BFMTV.

Malgré l’épidémie du Covid-19 et le confinement, le fils de Sophie Pétronin a été convoqué d’urgence par le Quai d’Orsay dans la semaine du 23 au 29 mars. Les autorités françaises lui ont ordonné de venir dans les locaux du ministère des Affaires étrangères depuis le Jura Suisse et “sans en préciser le motif de la convocation”, selon son cousin Lionel Granouillac.

Sur place, la surprise laisse place à l’espoir. Sébastien Chadaud-Pétronin apprend officiellement que la France dispose d’une preuve de vie de sa mère Sophie Pétronin, l’humanitaire française retenue en otage depuis le 24 décembre 2016 au Mali. Dans un communiqué publié le 1er avril, ses proches affirment donc publiquement que “l’Etat français dispose d’une preuve fiable de vie de Sophie en date de début mars”, sans pour autant posséder “de détails ni d’éléments matériels pour apprécier davantage cette nouvelle”.  

“Ma mère est sacrifiée”

Si les preuves d’un signe de vie restent floues, les proches de Sophie Pétronin espèrent tout de même que cette bonne nouvelle en annonce d’autres. Pourtant, ce message d’espoir n’a été suivi d’aucune annonce concernant une amélioration des négociations. Le ministère des Affaires étrangères se refuse à tout commentaire. En effet, la politique de la France concernant ses otages est très stricte, et l’enlèvement de Sophie Pétronin en est le symbole. Sébastien Chadaud-Pétronin a pointé du doigt à maintes reprises le gouvernement français et Emmanuel Macron. En décembre 2018, il déclarait au micro de RTL que le chef d’Etat “possède un pouvoir de vie et de mort” sur sa mère.

Depuis plus de trois ans, le fils de l’humanitaire française déplore les refus de dialogue et de négociation avec les ravisseurs, un groupe terroriste affilié à Al-Qaïda. Pourtant, le 14 mai 2019, lors d’un discours d’hommage aux militaires tués lors de la libération de touristes français au Burkina Faso, Emmanuel Macron avait adressé un message à Sophie Pétronin : “La France ne l’oublie pas. Car la France est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants.”

Malgré cette pensée, la famille reste très septique sur les capacités de l’Etat à libérer l’humanitaire. Dans un entretien accordé au JDD, le fils de Sophie Pétronin déplorait récemment que sa mère soit “sacrifiée”. Au micro d’Europe 1 en décembre 2019, son père Jean-Pierre Pétronin avait également déclaré que sa femme avait été “oubliée”.

Une région instable

Sophie Pétronin, enlevée le 24 décembre 2016, dirigeait depuis une vingtaine d’années une ONG venant en aide aux orphelins. Elle entretenait un lien étroit avec la région de Gao, au nord du Mali, où se trouvait l’orphelinat. Comme on peut le constater sur la carte ci-dessous, le nord du Mali est est une zone cible d’attentats et d’enlèvements. L’ambassade française proscrit tout projets de déplacement dans ces zones.

Carte de consignes de vigilance pour le territoire malien par l’ambassade de France à Bamako, mise à jour le 26 décembre 2019.

Carte de consignes de vigilance pour le territoire malien par l’ambassade de France à Bamako, mise à jour le 26 décembre 2019.

Sophie Pétronin a déjà été confrontée à ce risque au printemps 2012. Profitant alors du coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo contre le président Amadou Toumani Touré, les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad, assistés par les groupes islamistes AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et Ansar Dine, déboulent à Kidal, Tombouctou et Gao. Sophie Pétronin échappe de peu au drapeau noir des salafistes. Elle se réfugie alors au consulat d’Algérie. Là-bas, de nombreux diplomates algériens se font alors enlever par des salafistes d’Ansar Dine. Elle arrive à fuir du consulat pour trouver refuge dans une famille malienne. Après avoir été conduite à travers le désert à la frontière algérienne, elle est transportée en avion vers Alger. Remise à l’ambassade de France, elle rentre rejoindre sa famille. Pourtant, après seulement quelques semaines passées en Ardèche, elle repart au Mali.

Son fils témoigne alors dans Le Monde son désaccord pour ce nouveau départ. Cependant, il comprend le combat de sa mère et ajoute : “Ce qui me déplaît en tant que fils m’éblouit en tant qu’homme.” Prenant des dispositions en cas d’enlèvements, Sophie Petronin continue donc ses activités humanitaires. Depuis 2012, le Mali est un territoire d’instabilité et de nombreuses “mafias” s’installent sur le territoire. Faisant partie de la frontière sahélienne, il s’agit d’une zone stratégique entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest et du centre. Les mercenaires, ayant quitté la Libye après la chute de Kadhafi, alimentent alors un commerce malien d’armes et de drogue. La France décide d’intervenir en janvier 2013. Nous vous expliquons en détails ces interventions en infographies dans cet article mais aussi dans cette vidéo. A ces trafiquants, s’ajoutent des groupes islamistes d’AQMI, Al-Qaida au Maghreb islamique, qui pratiquent des enlèvements d’otages.

Le journaliste et écrivain franco-béninois Serge Daniel a réalisé une enquête de terrain au Mali. Publiée en 2014 et intitulée “Les Mafias du Mali”, son enquête revient sur le rôle des intermédiaires qui négocient et organisent le transfert de rançons considérables. Georges Berghezan, chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), interrogé par RFI, explique : “Une Kalachnikov au Sahel coûte entre 100 et 200 euros. Si on compare avec d’autres zones, c’est beaucoup moins cher qu’en Europe de l’Ouest où le prix varie entre 500 et 1 000 euros.” Le versement de rançons, défendue par certains comme une simple goutte d’eau par rapport au trafic de drogue, a été totalement proscrit par l’Etat français depuis le quinquennat de François Hollande.

Avec François Hollande, la France a durci le ton

L’impression de sacrifice et d’oubli de Sébastien Chadaud-Pétronin découle de la doctrine inflexible de l’Etat français pour ses otages : pas de négociation, pas de rançon. Ce principe non-exclusif n’avait pourtant jamais vraiment été respecté par les prédécesseurs d’Emmanuel Macron qui procédaient à des transactions “discrètes”. Cependant, sous le mandat de François Hollande, cette doctrine s’est endurcie. En mars 2013, en pleine opération militaire au Mali, le président socialiste avait en effet déclaré que la France ne paierait plus : “Pourriez-vous comprendre qu’au moment où nous sommes en guerre, nous versions de l’argent aux terroristes pour qu’ils achètent des armes”.

Une stratégie claire afin d’éviter d’encourager les groupes terroristes à enlever des citoyens français qui pourraient leur rapporter gros. Une réduction du nombre de prises otages étant nécessaire pour le bon fonctionnement de la politique extérieure française déjà bien touchée dans son histoire, comme le retrace cette infographie et cette carte des otages français.

Pour faire face à ce changement, le ministère des Affaires étrangères avait alors annoncé que les principales armes dans la libération d’otage seraient une pression sur les ravisseurs, sur leur famille, et sur les autorités locales et que l’usage de la force était envisageable. Une option qui déplaît aux familles d’otages, qui voient les rançons comme un moyen plus sûr de libérer leurs proches.

Sébastien Chadaud-Pétronin estime avoir fait les frais du pragmatisme gouvernemental lorsqu’il semble s’approcher d’une solution, en décembre 2018. Grâce à un intermédiaire malien, les ravisseurs lui auraient proposé, avec des garanties, la libération de sa mère contre une rançon raisonnable “à six chiffres”. Ne disposant pas de cette somme, il se tourne donc vers les autorités françaises qui refusent en bloc. La réponse est simple : la France ne paie plus. Dans son livre “Ma mère ma bataille”, le fils de Sophie Pétronin fait part de sa déception et de sa colère. Selon lui, “la partie est terminée. À vrai dire, elle n’a jamais commencé, l’un des deux participants refusant de se mettre à table.”

Morgan Kervestin et Lison Bourgeois



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