En annonçant la fermeture des lieux recevant du public non-indispensables à la vie du pays afin de lutter contre la propagation du Covid-19, le 14 mars, Edouard Philippe a laissé la porte ouverte à un type bien particulier de magasin : les papeteries. Le leader du secteur, Bureau Vallée, voit ses magasins ouverts mais tous ne sont pas munis de la même façon face à la menace du virus. Immersion confinée chez ces professionnels indispensables au télétravail.
En première ligne, il y a les hôpitaux luttant contre le Covid-19, en seconde ligne, les personnes continuant le travail à l’image des papeteries luttant contre le manque de cartouche. Entrant dans la catégorie des commerces de détail de journaux et papeteries en magasins spécialisés, l’enseigne Bureau Vallée par exemple a pu voir la majorité de ses 250 magasins ouvrir (ce qui n’est pas le cas des concurrents Top Office ou Office Dépôt) malgré la grave crise sanitaire touchant l’Hexagone. Une ouverture dans un contexte de confinement, qui est forcément vécue spécialement.
“Un retour aux pratiques d’antan”
Qui dit ouverture exceptionnelle dit réaménagement exceptionnel. Entre les mesures de sécurité, la protection du personnel et des clients, de nombreux magasins ont décidé de se restructurer totalement. Dans les Hauts-de-France, la situation est devenue critique. Alors, à Dunkerque, le franchisé Olivier Descamp a décidé d’ouvrir seulement en drive “pour mettre [s]on personnel et [s]es clients en sécurité”. Même démarche à Challans en Vendée, mais pas pour les mêmes raisons. Après l’annonce du confinement par Emmanuel Macron, le lundi 16 mars, Éric Guilbert a vu son équipe refuser d’ouvrir le magasin. Selon lui, “nous avons un devoir vis-à-vis de nos clients” et il ne voulait pas voir son magasin clos. Alors, un consensus a été trouvé en acceptant seulement les drives.
Si le “click and collect” est le compromis entre la fermeture totale et l’ouverture intégrale, la majorité des magasins ont opté pour une mise en mode comptoir. Lannion, les Sables d’Olonne, Saint-Brieuc ou encore Guingamp en sont quelques exemples. Pour Lionel Michaud*, directeur du Bureau Vallée des Sables d’Olonne, il s’agit “d’un retour aux pratiques d’antan” avec le personnel qui amène directement les produits demandés par le client. Avec ce type d’ouverture, les personnes ne peuvent plus vaquer librement dans le magasin, limitant ainsi les interactions entre acheteurs et vendeurs.

Aux Sables-d’Olonne les clients ne peuvent plus se servir librement dans les rayons © Adrien Michaud
Le type d’ouverture de chaque magasin répond aussi à une logique économique. Saint-Brieuc, Lannion, Dunkerque, Les Sables d’Olonne et La Roche-sur-Yon, cinq des vingt plus importants magasins de la franchise, ont pu choisir leur mode d’ouverture car la crise actuelle ne met pas en péril la santé économique des structures.
Ce qui n’est pas le cas pour les nouveaux venus ayant une santé financière plus fragile comme à Vichy. Le Bureau Vallée de la ville thermale est un des seuls magasins de la franchise encore entièrement ouvert en France. Mickael Mauplin, directeur de l’affaire, ne peut pas procéder autrement. Franchisé depuis deux ans, il est obligé d’ouvrir complètement pour ne pas mettre ses finances dans le rouge. Dans le magasin, il n’y a que lui et un salarié. “Nous avons des gants et des masques. J’applique au maximum les gestes barrières”, explique-t-il.
Une volonté de protéger le personnel et les clients
L’ouverture d’une majeure partie des magasins en mode comptoir marque un virage à 180 degrés par rapport au libre-service. Tout cela est régi par le respect des règles sanitaires et des gestes barrières. Cela permet aux clients comme au personnel de ne pas se côtoyer et donc de limiter la propagation du virus.

Devant les magasins, des affiches comme celles-ci sont placardées © Adrien Michaud
Ce n’est pas tout. Certains magasins vont plus loin que le simple port de gants ou de masque, en accélérant les mesures sanitaires. Dans les trois affaires de Yann Chaussée (Lannion, Guingamp, Saint-Brieuc) “une personne fait le nettoyage toute la journée”, tandis qu’à Guingamp “nous imprimons directement en 3D nos visières de protection”. Même son de cloche à Dunkerque avec l’achat de 800 euros de plexiglas “pour protéger [s]es employés”, explique Olivier Descamp.
Des mesures jamais trop précautionneuses comme le rappelle Yann Chaussé. “Les clients qui viennent en magasin sont souvent ceux qui n’ont pas peur”, et par conséquent sont moins prévoyants. Un constat partagé par Sylvia Michaud*, co-gérante du magasin des Sables d’Olonne : “Ces derniers jours, de plus en plus de clients portent des masques. Ils pensent ainsi qu’ils sont immunisés et se croient tout permis.” Elle nuance en rappelant que la majorité des personnes font “très attention”.
Certains clients disent “qu’on leur sauve la vie”
Cette majorité de gens précautionneux est aussi reconnaissante de l’ouverture de ce type de magasin. Nombreuses sont les personnes “heureuses qu’on soit là”, décrit Olivier Descamps. Certains clients disent même “qu’on leur sauve la vie”, raconte Lionel Michaud. Éric Guilbert l’explique : “Nous sommes là pour assurer le bon fonctionnement du télétravail, mais aussi des entreprises encore ouvertes et même du monde enseignant qui a besoin de matériel.”

La vente de cartouche a aussi considérablement augmenté sur internet ©Foxintelligence
Et cela se ressent sur le type d’achat, avec évidemment une augmentation considérable de la vente de cartouche d’imprimante au détriment d’autres produits. À Dunkerque, “les cartouches représentent 95% des achats”. Et dans tous les magasins de la franchise, le véritable or noir est l’élément central de tous les paniers. L’augmentation de la vente des cartouches est en corrélation directe avec le télétravail en ce mois de confinement. Et puisque l’un ne va pas sans l’autre, le papier est l’autre grande vente du moment.
Une forte baisse du chiffre d’affaires
Finalement, même si Bureau Vallée a la chance d’ouvrir ses magasins, il ne faut pas oublier le but premier d’un commerce : dégager un bénéfice. Force est de constater que la crise actuelle touche fortement les comptes avec des pertes significatives auxquelles tous les magasins doivent faire face. Dans ses trois magasins (Pornic, La Roche-sur-Yon et Challans), Eric Guilbert voit “une baisse de 80 à 85 % de [s]on chiffre d’affaires (CA)” et cela se reflète dans toute la France. Même les magasins surnageant dans ce marasme économique déplorent de grosses pertes, comme à Dunkerque où le franchisé réalise tout de même 66% de son chiffre.
En effet, il est intéressant de rappeler que le chiffre d’affaires n’est rien sans l’apport de la marge et quand “il manque 65 % de la marge tous les jours” comme l’explique Yann Chaussée, les comptes “ne sont pas bons”. La raison est simple. Les cartouches sont le produit avec la marge la plus faible dans la franchise. En ce moment, elles représentent les plus gros volumes de ventes. C’est donc l’arbre qui cache la forêt puisque de nombreux magasins réalisent un CA honorable, mais la petite marge des cartouches plombe les finances. Un constat cependant nuançable comme dépeint Lionel Michaud. “On peut déjà s’estimer heureux d’ouvrir et d’aider nos clients dans une période aussi troublée.”
*Par souci de transparence pour le lecteur, précisons que cet interlocuteur a un lien de parenté avec l’auteur de l’article.
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