Crise de l’hôpital public : “C’est intolérable”, dénoncent des médecins démissionnaires

A l’image de 600 médecins hospitaliers de France, David Dall’Acqua et Thomas Dupuy ont récemment démissionné de leurs fonctions administratives à l’hôpital de Vichy et au CH de Moulins-Yzeure. Ils répondent ainsi à l’appel du collectif inter-hôpitaux pour interpeller le gouvernement sur le ras-le-bol des services d’urgences.

Plus qu’un abandon de poste, cette décision est une arme que tous deux pointent vers le gouvernement et vers la ministre de la Santé. Après la grève illimitée des services d’urgences, le collectif inter-hôpitaux a lancé un appel à l’ensemble du corps médical. Un appel à la suite duquel plus de 600 médecins ont démissionné de leurs fonctions administratives dans les hôpitaux publics. Parmi eux, David Dall’Acqua, chef des urgences de l’hôpital Jacques Lacarin de Vichy, a remis sa démission le 31 décembre dernier.

David Dall’Acqua, devant l’hôpital Jacques Lacarin. Photo : Marie Solvignon.

David Dall’Acqua, devant l’hôpital Jacques Lacarin. Photo : Marie Solvignon.

Les urgences en grève illimitée

Manque de personnel, fermeture de lits, une ligne de SMUR sur deux fermée régulièrement : depuis le 14 juin, le personnel urgentiste de l’hôpital Jacques Lacarin est en grève illimitée. Face aux difficultés locales et en réponse au mouvement national, le docteur Dall’Acqua a choisi de démissionner de ses fonctions administratives. Il explique : « Je redeviens un simple médecin : je cesse de coordonner les plannings, de répondre aux plaintes engagées par des patients, aux sollicitations de nouveaux protocoles de prise en charge ou aux sollicitations de la préfecture. » Au-delà de la symbolique, David Dall’Acqua a pris cette décision dans l’espoir d’interpeller sa direction, mais aussi Agnès Buzin.

Chaque matin, je retrouve huit patients qui dorment sur des brancards à cause du manque de lits : en 2020, c’est intolérable. – David Dall’Acqua, chef des urgences de l’hôpital Jacques Lacarin de Vichy.

Plus que du manque de lit, le service d’urgences de l’hôpital souffre surtout d’un sous-effectif alarmant : « Je gère un effectif qui est à peine la moitié de ce qu’il devrait être pour fonctionner correctement. Nous sommes seulement deux médecins aux urgences, alors qu’il en faudrait au moins quatre la journée et trois la nuit ». Et là où l’hôpital aurait cruellement besoin d’embaucher de nouveaux praticiens, l’établissement souffre d’un manque d’attractivité. Pour le médecin, son service est désormais « marqué d’une pierre noire » : « A cause de ces difficultés qui s’entassent, notre service d’urgences n’intéresse pas les jeunes diplômés. Ils vont préférer s’orienter vers le privé, où ils auront un salaire deux fois supérieur. »

« La démocratie médicale ne fonctionne plus »

Thomas Dupuy, chef du pôle urgences-Samu-Smur au CH de Moulins-Yzeure, avait été interviewé par l’Effervescent en septembre dernier, au début de la grève illimitée des urgences. Et déjà, il dénonçait la dégradation des conditions de travail des urgentistes de Moulins et le manque criant de personnel qui paralysaient le service. En accord avec le mouvement national qui secoue la France depuis ce début d’année, Thomas Dupuy a lui aussi décidé, fin décembre, de démissionner de ses fonctions administratives au centre hospitalier. Sa démission est devenue effective il y a un mois, le 13 janvier. Il occupait ce poste depuis 3 ans.

Thomas Dupuy, dans les rues de Vichy en septembre 2019 lors d’une manifestation contre la réforme des retraites. Photo : Naël Ranjon.

Thomas Dupuy, dans les rues de Vichy en septembre 2019 lors d’une manifestation contre la réforme des retraites. Photo : Naël Ranjon.

Au-delà des problèmes internes à l’établissement, le docteur Dupuy déplore un manque de communication dans le secteur médical : « La démocratie médicale ne fonctionne plus : les corps intermédiaires ne sont pas écoutés, il n’y a ni discussion ni écoute dans la logique du gouvernement. » Pour lui, cette situation résulte d’un contexte de démographie médicale difficile. « Aujourd’hui, l’hôpital public est un repoussoir pour les jeunes en formation qui, dès qu’ils en ont l’occasion, courent vers le privé dans lequel ils seront mieux rémunérés : les salaires y sont supérieurs de 30 à 50 %, et c’est un écart qui se creuse depuis quinze ans déjà. On paye le prix d’une politique qui rend l’hôpital public malade, et semble nous conduire tout droit vers un plan de privatisation de la santé en France ». A la suite de sa démission, Thomas Dupuy tire la sonnette d’alarme sur l’état des hôpitaux public français, et dénonce une « maltraitance de l’institution ».

L’hôpital public ne peut plus remplir ses fonctions, tout le personnel médical est touché et à bout. – Thomas Dupuy, chef des urgences au CH de Moulins-Yzeure

Pour le médecin, le gouvernement doit désormais mettre en place un véritable plan de sauvetage des services d’urgences. Un sauvetage qui passerait d’abord par une revalorisation du budget des hôpitaux. « Nos services ont besoin d’un financement à la hauteur des difficultés auxquelles on fait face. Et surtout, il ne faut pas centrer ce plan de sauvetage seulement sur les urgences : si on veut résoudre le problème, c’est tout l’hôpital qu’il faut aider. Il faut augmenter le nombre de lits de courte durée, de soins de suite, d’EHPAD et de moyens séjours. » Thomas Dupuy l’affirme : pour lui, le soutien de la population constitue une arme indispensable à la survie de l’hôpital public : « Tous dans notre vie, nous nous retrouvons un jour à l’hôpital pour nous soigner : c’est à ce moment-là qu’on se rend compte de la gravité du problème ».

Naël Ranjon



Catégories :Auvergne

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