Dans la pièce Vous n’aurez pas ma haine de Benjamin Guillard, Raphaël Personnaz (Au bonheur des ogres, La Princesse de Montpensier, La stratégie de la poussette) incarne Antoine Leiris, journaliste qui a perdu sa femme au cours des attentats du 13 janvier 2015. Samedi 11 janvier, l’acteur s’est produit au théâtre de Cusset.

En parlant de la mort, Raphaël Personnaz reconnecte le public avec la vie. Photo DR.
L’Effervescent : Nous vous avons déjà vu dans des projets plus légers, comme par exemple des comédies au cinéma. Comment en êtes-vous arrivé à traiter un sujet aussi grave que les attentats du 13 novembre 2015 ?
Raphaël Personnaz : En fait, ça fait un petit moment que j’aborde des sujets graves. Vous parlez des comédies mais j’ai fait un film sur Guy Georges, j’ai fait un film qui se passait au Cambodge sur les Khmers rouges. Il y a vraiment des sujets que j’ai abordés dernièrement qui me touchaient vraiment. Des sujets à travers lesquels je pouvais voir, peut-être, le sens qu’a mon métier. C’est-à-dire de choisir certains sujets. Est-ce que je reste dans le divertissement ou est-ce que, parfois, je peux faire des choses qui ont un petit peu plus de fond ? Il se trouve que ce texte m’est arrivé par hasard. On me l’a proposé.
Au départ, je n’ai pas voulu le faire. Je me suis dit que ça me paraissait trop tôt. Je ne voyais pas la légitimité que j’allais avoir devant un public, à dire les mots d’une personne qui a perdu sa femme au Bataclan. C’était compliqué pour moi. Et puis finalement, en rencontrant le metteur en scène, j’ai vu toute la délicatesse qu’il voulait mettre dans la mise en scène. Et puis surtout on s’est beaucoup attardé sur le texte. On ne s’est pas dit qu’on allait faire un “spectacle”, au mauvais sens du terme, avec tout ce qu’il pourrait y avoir de racoleur. On s’est dit qu’on allait se contenter de ce texte, qui est déjà puissant, et que la mise en scène devait rester la plus délicate possible. En fait on revient presque aux origines de mon métier. On revient presque à ce qu’était le théâtre dans la Grèce antique. C’est un citoyen parmi les citoyens, qui parle d’un événement qui s’est passé il y a peu de temps.
Ce sont des sujets qui sont assez lourds, assez difficiles. Comment faites-vous pour arriver à mettre une distance avec la personne que vous interprétez. Comment ne pas se laisser submerger par les émotions et rester juste ?
Raphaël Personnaz : Si je me laisse déborder par les émotions, je risque d’être hors jeu lors de la représentation et d’être à côté. Ça ne veut pas dire non plus prendre trop de distance, parce que, dans ce cas là, on devient froid par rapport aux choses. D’ailleurs, au début des répétitions, je n’arrivais pas à dire le texte. C’était tellement lourd, difficile. J’étais écrasé par mon émotion mais je n’arrivais pas à transmettre l’émotion de l’auteur par ses mots […] Ce que j’avais aimé aussi dans son écriture, c’est que jamais il ne se complaît. Ce qu’il nous raconte, c’est que la vie reprend ses droits. L’auteur se raccroche à de toutes petites formes de vie. Moi, c’est ça qui me porte.
En sortant de la représentation, on se sent vivant. Il y a comme une énergie qui se créer entre vous et le public. Est-ce que pour vous, c’est primordial d’être face à un public pour aborder le sujet des attentats de Paris ?
Raphaël Personnaz : Je sens vraiment la présence du public. Au début, ce soir, il y avait une écoute de dingue. Après il y a eu un petit événement, il y a quelqu’un qui a eu un malaise ce soir. Malgré tout, j’ai senti l’énergie du public qui me portait. Enfin, ce n’est pas l’énergie, c’est plutôt l’écoute, l’attention. Moi, je vois les gens dans la salle. Dans cette salle-là, on les voit bien. Je vois les gens qui se prennent ça en pleine face, je vois ceux qui pleurent, je vois ceux qui rient par moment et tant mieux. Ce soir, par exemple, je voyais que les gens s’autorisaient moins à rire qu’hier soir à Riom, par exemple. Parce que les gens se disent “Mais là j’ai le droit de rire ?”.
Pour moi c’est un vrai dialogue avec le public. D’ailleurs, quand je n’ai pas la connection avec le public, on est à côté, là aussi. Moi dès le départ, dans le prologue, lorsque je suis face à vous, c’est à ce moment-là que je commence à tisser un lien. Peut-être que, dans les premières représentations, je n’y arrivais pas assez bien, parce que le trac et la nervosité peuvent faire que vous ne parlez pas vraiment aux gens mais vous leur parlez un peu au-dessus. Il faut trouver le bon accord. Et ça, c’est tous les soirs qu’on le revoit. En tournée c’est d’autant plus génial parce qu’on change de salles. La configuration change. Il faut donc se réapproprier les choses.
Qu’est-ce que cela vous apporte de discuter avec le public à l’issue de la représentation ? Est-ce enrichissant ?
Je vous avoue que j’ai joué [cette pièce] 150 fois, donc maintenant je sais à peu près ce que les gens vont dire. Enfin voilà, ce n’est pas que ça se répète mais c’est normal. C’est souvent les mêmes réflexions à la fin et les mêmes discussions. Je vous avoue que si c’était moi, je serais déjà parti. Parce qu’une fois la représentation terminée, je n’ai qu’une seule envie, c’est de me reconnecter à la vie et de ne plus en parler. C’est d’ailleurs ce que [l’auteur] dit dans le texte.
Je sais qu’il y a des gens qui ont besoin d’en parler. Parfois, on s’est retrouvé, avec les pianistes de la pièce, face à des familles de victimes. Donc là, d’un coup, les choses prennent une autre signification, une autre résonance et c’est très compliqué. C’est très compliqué parce que, certes, vous parlez pendant une heure et demi, vous dites le texte “Vous n’aurez pas ma haine”, et après vous vous retrouvez face à des parents de victimes. Des parents qui ont déjà cette espèce de courage de venir et qui après vous racontent ce qu’il s’est passé. Comment trouver votre place là-dedans ? Qui vous êtes ? Rien. Donc voilà, les discussions font partie de cette pièce. Je ne peux pas non plus me dire “Je rentre chez moi et je ferme la porte”. C’est tellement particulier. Donc là ça fait deux ans que je la joue, et là c’est une des dix dernières représentations que je fais et après je passerai à autre chose. Parce qu’il le faut.
Propos recueillis par Thomas Hory et Clara Maillé
Catégories :Vichy
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