L’observatoire de la pauvreté est supprimé en France* depuis le 1er janvier 2020. “Ca veut dire quoi ? Qu’il n’y a plus de pauvres en France ?!”, s’exclame Florence Denef, directrice de la structure ANEF (Association Nationale d’Entraide) à Vichy. Alors qu’environ 9 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté en France, ils étaient 3 641 à dormir dehors à Paris en 2019.
Empreinte de touches de nuances, la situation des “SDF”, sans-abris, marginaux, clochards… relève d’une grande complexité. Or, le terme “SDF” à un sens réducteur et cache une multiplicité de réalités, de précarités diverses et variées. C’est pour cela que nous avons décidé de mettre des guillemets, pour rappeler que ce mot englobe différentes réalités.
Des logements, et pourtant…
“Il n’y a pas de crise de logement à Vichy, c’est une problématique sociale”, souligne le maire de Vichy, Frédéric Aguilera, pour L’effervescent. La ville comprend un nombre significatif de logements sociaux, “environ 1500” d’après le maire. Et pourtant, à Vichy, certains dorment toujours dehors. Pour comprendre les raisons de cette réalité nous nous sommes rendues dans les bureaux de l’ANEF 63 à Vichy, luttant contre l’exclusion. Florence Denef, directrice de la structure, explique : “Etre dans un logement social nécessite d’avoir un minimum de ressource. La population dormant dans la rue n’en n’a pas, il faudrait qu’ils aient un travail pour cela. Et c’est le serpent qui se mord la queue.”
Car finalement, “traverser la rue pour trouver du travail” semble plus facile à dire qu’à faire. “Avant d’en arriver là, il y a de nombreuses questions à traiter”, renchérit Florence. Accompagnement psychologique, médical, administratif et parfois même psychiatrique : les obstacles à la réinsertion sont autant variés qu’il y a de parcours de vie. L’éloignement social d’une majeure partie de cette population “rend complexe l’idée de rentrer dans un parcours professionnel”, confiait Frédéric Aguilera.
La protection à l’enfance : aux origines d’une problématique
Conséquence d’une enfance subie, les “SDF” issus du système de la protection à l’enfance font partie de ces profils désocialisés. Si l’INSEE indique qu’un “SDF” sur quatre est un enfant anciennement placé en famille d’accueil, pour Florence Denef, la réalité relève plutôt d’un “SDF” sur 2
“Il y a un réel problème en France du côté de la protection à l’enfance.” – Florence Denef
Au coin de la rue, Mathilde, 22 ans, est l’une de ces enfants. Née d’une mère “SDF”, elle est passée d’inconnu en inconnu, de familles en foyers d’accueil. Déscolarisée, sans diplôme, ni aidée par la société, “sans droit au RSA”, elle est le reflet du manque d’efficacité de la protection à l’enfance. Mathilde se retrouve sans relais familial, ni ressource financière. Remonter à la source du problème d’un système de protection à l’enfance défaillant éviterait à de nombreux adolescents de se retrouver ignorés par le système. “Contrats jeunes majeurs” peu nombreux et RSA disponible seulement à 26 ans, ces obstacles les enferment davantage dans la précarité. Une fois la protection à l’enfance clôturée, cette jeunesse se retrouve en errance, elle devient “invisible”.
Les “invisibles”
Les 16-25 ans constituent un point d’ombre parmi les “SDF”. Ces jeunes “neet” (“invisible” en anglais) sont sujets à un plan national du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse : “Repérer et mobiliser les publics dits invisibles”. Il s’inscrit dans le cadre du Plan Garantie européenne pour la jeunesse. La première étape vise à les repérer afin d’estimer leur nombre et leurs besoins. Il sera ensuite possible de “raccrocher” ces jeunes sans emploi, sans formation et sans étude, à des structures. Un appel à projets a été lancé le 21 février 2019, décliné depuis au niveau local. “Une fois que ces jeunes seront identifiés, il faudra passer par des étapes plus longues et complexes comme des points financiers et administratifs”, conclut Florence.
Pour pouvoir leur venir en aide il faut pouvoir entrer en contact avec eux. Depuis deux ans, l’équipe des éducateurs de rues de la ville a été renforcée. Acteurs principaux de la prévention spécialisée, ils interviennent là où les institutions publiques ne sont pas : dans la rue, au plus près des populations isolées. Leur rôle étant d’amorcer un premier travail d’approche avec les personnes en marge ou en voie de marginalisation, pour les diriger vers des aides d’hébergements et parfois même les amener jusqu’aux services de soins. Malgré la plus grand écoute concernant leur parcours de vie, la tâche leur est parfois difficile. “Par exemple, un jeune s’est fait mordre à la main et des points de suture sont nécessaires, mais il refuse d’aller vers l’aide médical (CCAS).” Ayant peu de confiance envers l’aide qui leur est proposée, Florence Denef fait le constat d’une réelle méfiance présente chez certains envers les travailleurs sociaux.
Les objectifs de l’ANEF
Dans les locaux de l’ANEF et du CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) une diversité de professionnels est présente pour répondre à l’accompagnement aux soins et à l’hébergement. À commencer notamment par les animatrices, éducateurs spécialisés, conseillères sociales et familiales. “Mais il y aussi une secrétaire, un psychologue et un médecin à temps partiel”, liste la directrice de la structure.
Sous les locaux de la structure, le centre d’hébergement d’urgence de nuit accueille les “SDF” dès 17 heures en hiver. Pourvu de sept lits, le centre ouvre ses portes seulement la nuit. Il y a dix ans, Vichy perdait son centre d’accueil d’hébergement de jour. Pour cause, l’arrêt de financement de la direction départementale de la cohésion sociale sous l’égide du ministère de la santé. Hiver comme été, ses résidents d’une nuit doivent désormais retourner dans la rue dès 8 heures. “Nous sommes en pleine réflexion sur la problématique de l’accueil de jour”, répond Frédéric Aguilera face à ce constat.
Au cœur de cet isolement social, se niche une réalité médicale souvent reléguée au second plan. Soucis psychologiques, dépendances à l’alcool, toxicomanie… la sortie du tunnel est une longue ascension. “Mais certains ont aussi des troubles psychiatriques et ne sont pas pris en charge, continue la directrice de l’ANEF 63, et cette réalité est à mettre en lien avec la situation catastrophique de la psychiatrie en France.” Les autorités sanitaires sont devant une réelle impasse dans cette crise profonde traversée par le secteur de la psychiatrie. Entre un tiers et 50 % des patients qui ont un trouble psychiatrique ne sont pas traités alors que dans l’hexagone, une personne sur trois au cours de sa vie connaît un trouble psychique qui requiert un suivi médical.
En quête de réinsertion sociale
Certaines structures proposent aux personnes précaires des parcours de réinsertion professionnelle. C’est le cas des Jardins de Cocagne Pays Vichy-Auvergne. Cependant, Mme Pasquier, responsable des personnes en situation de réinsertion sociale, explique “qu’il n’y a jamais eu de SDF” dans leurs Jardins de Cocagne. “Nous ne recevons que des personnes qui ont un logement, ils sont notamment réfugiés ou parents isolés. C’est sûrement parce qu’à l’inscription à Pôle Emploi, il faut indiquer une adresse…, avoue la responsable. Le fait qu’ils soient SDF n’est en aucun cas un critère de non-recrutement, c’est que nous n’avons jamais eu de demandes de la part de ce public-là.”
Le chemin vers la réinsertion sociale et professionnelle est un long processus de réapprentissage et d’adaptation au système. L’acquisition d’un logement social n’est que l’aboutissement du long parcours vers l’intégration aux normes de la société.
Natacha Astor et Noémie Pitavin
Catégories :L'Evenement, Plus Loin
Laisser un commentaire