Tradition commerciale attendue chaque année par des milliers de consommateurs, le Black Friday fait pourtant l’objet de nombreuses critiques dénonçant un encouragement à la surconsommation et un désastre écologique. Si l’événement ne perd pas de son ampleur, les contestations se font de plus en plus virulentes.
Nous sommes le vendredi 29 novembre et la ville de Clermont est le théâtre d’une agitation inhabituelle. À l’entrée du Centre Commercial de la place de Jaude, les clients venus profiter des soldes du traditionnel Black Friday ont la surprise de tomber sur des manifestants qui occupent l’endroit en signe de protestation. De plus en plus de personnes s’engagent en effet contre cette tradition commerciale, considérée comme le symbole du capitalisme effréné et de la surconsommation.
La cité auvergnate n’est évidemment pas la seule ville concernée. Différentes actions contestataires ont lieu partout en France ce jour-là, qu’il s’agisse de manifestations dans les rues, de sit-ins sur la voie publique ou de blocages de grandes enseignes commerciales. Mondialement reconnu et attendu avec impatience chaque année pour ses nombreuses promotions, le Black Friday est donc aujourd’hui plus que jamais remis en question.
Un Block Friday en signe de protestation
À Clermont, la manifestation ironiquement surnommée « Block Friday » est portée par différentes organisations écologistes, telles que GreenPeace, Alternatiba, YouthForClimate ou encore ANV-COP21. Parmi elles figure également l’association ATTAC, qui a choisi de s’attaquer plus particulièrement à Amazon, leader mondial de la vente en ligne. « Champion de l’évasion fiscale, Amazon illustre le niveau de pouvoir disproportionné et dangereux que les multinationales ont atteint aujourd’hui », explique Dominique Delorme, responsable d’ATTAC dans le bassin de Vichy.
La firme américaine est en effet l’une des plus grandes multinationales mondiales avec 865 milliards de dollars de capitalisation boursière. Et forcément, en tant que première entreprise dans le secteur de la vente en ligne, elle joue un rôle majeur chaque année à l’occasion du Black Friday. « Cette opération commerciale illustre la folie consumériste à outrance, les distorsions de la compétition commerciale, l’offensive des plus grandes enseignes contre ce qu’il reste d’un commerce plus conventionnel », renchérit Dominique Delorme.
Pour alerter la population, les militants d’ATTAC ont choisi un lieu symbolique en s’installant devant une librairie sur le point de fermer ses portes. Et leurs revendications sont nombreuses. « Amazon doit respecter le droit du travail, réduire fortement son impact écologique, être transparente sur ses flux financiers et payer sa juste part d’impôt », énumère par exemple Dominique Delorme. En ce qui concerne le Black Friday, les solutions peuvent prendre différentes formes. Recycleries, boutiques de seconde main, brocantes, vide-greniers, troc et ateliers de réparation sont autant d’alternatives qui permettent de réaliser de bonnes affaires, sans forcément passer par la frénésie commerciale du Black Friday. Tel a en tout cas été le message diffusé à Clermont et partout en France par de nombreux militants écologistes.
La solution des commerces de proximité
Outre les manifestations, il existe d’autres moyens de lutter contre la surconsommation engendrée par le Black Friday. Certains petits magasins indépendants défendent par exemple une image bien plus éco-responsable du commerce. C’est le cas de L’Ingrédient, à Vichy. Cette boutique alimentaire de produits en vrac et sans déchet est par essence aux antipodes du Black Friday. Après avoir travaillé quinze ans en grande distribution, son gérant Damien Provazi a finalement totalement changé de bord en ouvrant son propre commerce et déclare être « contre la surconsommation ».
« Les indépendants comme moi ne peuvent pas se permettre de faire le Black Friday face à l’e-commerce ou aux franchises » – Damien Provazi, commerçant
« C’est quelque chose que l’on nous impose », estime-t-il. Et cette tyrannie du Black Friday n’est pas sans conséquence pour les commerçants indépendants. « Il y a une baisse générale de la fréquentation à Vichy, mais aussi ailleurs », poursuit-il. En donnant l’exemple de son frère, gérant d’une boutique à Sanary-sur-Mer de moins en moins fréquentée, le fondateur de L’Ingrédient met en exergue l’impact nocif que peut avoir le Black Friday sur les commerces locaux. Et cela n’est peut-être pas prêt de s’arrêter.
Malgré la prise de conscience globale sur le dérèglement climatique, les chiffres de l’événement commercial ne cessent en effet d’augmenter. Pour Damien Provazi, l’explication est simple. « Les gens veulent faire des efforts, mais c’est leur porte-monnaie qui guide leurs efforts », déplore-t-il. Avec sa boutique, il est donc également là pour « pousser les gens à n’acheter que ce dont ils ont besoin et donner l’exemple ».
Une idée que l’on retrouve dans le discours de Dominique Delorme, pour lequel les achats effectués lors du Black Friday sont rarement nécessaires. « Il faudrait mieux définir la notion de besoin, précise-t-il. Les effets incitatifs, la pression publicitaire maximum, le harcèlement dont font l’objet les consommateurs, tout contribue à multiplier les achats impulsifs, voire compulsifs. » Pour lutter contre cet immense engrenage commercial, les indépendants n’ont pas d’autre choix que de « se diversifier et se différencier », selon Damien Provazi.
Green is the new Black
Vous l’aurez donc compris, alors que le Black Friday est décrié pour le modèle de surconsommation qu’il représente et l’impact énergétique qu’il génère, de plus en plus de protestations se font entendre. Elles se matérialisent notamment par des actions concrètes menées par diverses organisations, comme le Green Friday. Créée en 2017, cette initiative se définit elle-même comme un « événement citoyen anti-Black Friday ». Concrètement, il s’agit d’un collectif qui regroupe 400 structures, associations et entreprises, militant en faveur d’une consommation responsable. Ainsi, pendant le Black Friday, ses membres ne proposent pas de réduction à leurs clients, mais s’engagent en revanche à reverser 10% de leur chiffre d’affaires de la journée à des associations telles que HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) ou Zéro Waste.
Leur but est de « sensibiliser les citoyens à une consommation plus en phase avec les réalités », réalités desquelles est d’ailleurs totalement absent le Black Friday, qui représente, selon le collectif, « la surproduction à moindre coût avec pour seul objectif une consommation aveugle ». Durant cette messe du consumérisme, on constate en effet un pic de pollution, notamment lié aux nombreux envois de colis. Mais cet événement favorise également le gaspillage de grande échelle. « Chaque année, l’industrie textile jette 4 millions de tonnes de vêtements et en vend 5 millions », accusent les membres du Green Friday. En bref, ce collectif militant a pour objectif d’éveiller les consciences. Mais il reste pour l’instant une goutte d’eau face à ce tsunami commercial.
Le monopole des grandes enseignes
Fortement attendu aux États-Unis comme en Europe, le Black Friday a gagné en ampleur au fil des années, s’invitant jusque dans les villes de taille moyenne. À Vichy, le magasin de vêtements Bluestore a attiré les foules pendant tout le week-end. « Avec avec de telles promotions, les gens ont envie d’acheter », explique Luiza Droguet, responsable du magasin. Le Black Friday occasionne du trafic qui apporte automatiquement un chiffre d’affaires conséquent, mais Luiza n’est pas totalement convaincue par l’événement. « On a joué le jeu comme tout le monde, mais je ne sais pas si c’est l’opération qui rapporte le plus, objecte-t-elle, je n’en suis pas persuadée. » Même son de cloche chez Imagin Bose, où le Black Friday n’a pas eu l’effet escompté. Gérald Derocles, le gérant du magasin, n’est pas un grand fan de cette journée de promotions. « Je n’ai pas vu plus de monde que d’habitude, j’avais des promotions sur mes articles, mais tout se passe maintenant sur Internet », s’agace-t-il.

Le magasin Blue Store de Vichy a également participé au Black Friday. (Photo : Vichy Commerce)
C’est en effet sur le web que la plupart des transactions sont effectuées et que les affaires semblent être les meilleures. Les consommateurs axent plutôt leurs achats sur les grandes enseignes, au détriment des commerces et magasins de proximité. Ce sont d’ailleurs les consommateurs qui sont les véritables gagnant du Black Friday. Lucas, étudiant de 19 ans, a acheté des écouteurs sans fil en bénéficiant d’une réduction de plus de 100 euros : « Je ne me sens pas coupable pour l’écologie car j’en avais vraiment besoin et car c’était la première fois que je profitais du Black Friday. Mais c’est vrai qu’il faudrait éviter que ça impacte la planète. »
Pour cela, les grandes marques devront réduire leur empreinte carbone de manière conséquente afin d’éviter d’aggraver la situation climatique. Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, veut par exemple atteindre la neutralité carbone dès 2040 et investir près de 100 millions de dollars dans la restauration et la protection des forêts.
À quand des résultats concrets ?
Fortement remis en cause, visé par les actions du Block Friday, critiqué par certains commerçants et militants écologistes, le Black Friday n’en reste pas moins un événement commercial extrêmement important, dont les chiffres ne cessent de grimper. Avec 56 millions de transactions par carte bancaire effectuées au cours du vendredi 29 novembre, la journée de promotions a battu un nouveau record dans l’Hexagone. L’an dernier, les Français ont par exemple effectué six millions de paiements en moins.
Malgré les contestations, le Black Friday continue de gagner en ampleur. Les avertissements des associations environnementales et les différentes initiatives citoyennes ne semblent donc pas avoir eu d’impact immédiat sur les consommateurs. Pour l’instant. Car dans la situation climatique et économique actuelle, il va sûrement falloir qu’une prise de conscience s’effectue dans les années à venir. Affaire à suivre…
Antoine Gerard, Thomas Deleglise et Antoine Heller
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