Les monnaies locales : quels intérêts pour l’Auvergne ?

L’Auvergne n’échappe pas à la tendance des monnaies locales et citoyennes. Véritable philosophie de vie et moyen de paiement éthique, ces monnaies locales semblent être une solution aux dérives de la mondialisation. Les Auvergnats sont de plus en plus nombreux à payer en Doume ou en Soudicy, malgré les limites qu’elles présentent. 

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Le dimanche, c’est jour de marché à Clermont-Ferrand. Comme toutes les semaines, dès 7h du matin, le calme de la Place Jaude est interrompu par le balais des utilitaires des producteurs qui viennent installer leurs stands. Un marché tout ce qu’il y a de plus banal. Pourtant, lorsqu’on se rapproche un peu, un détail attire l’attention. Au milieu des échanges de billets et de pièces, une drôle de monnaie circule. Des billets colorés, où les douze étoiles du drapeau européen ont laissé place à des images de blés, trèfles ou encore murs de briques.

Non, il ne s’agit pas d’un jeu d’enfant, mais bien d’une vraie devise : la Doume. « C’est la monnaie locale et citoyenne du département du Puy-de-Dôme, explique Martine, une quinquagénaire clermontoise. Cela fait un peu plus de quatre ans et demi qu’elle a été lancée ici, et moi je l’utilise quotidiennement. » 

Des monnaies alternatives de plus en plus populaires

Martine n’est certainement pas la seule à faire usage d’une monnaie locale. Aujourd’hui, le territoire français en compte environ 73. L’Eusko, au pays Basque a même dépassé le million en circulation.

Plus important encore, alors qu’en 2014, on ne comptait qu’une trentaine de monnaies locales et citoyennes en France, leur nombre devrait dépasser la centaine d’ici 2025. Et la petite dernière, c’est le Soudicy, née en juin 2019 sur le territoire de l’Allier.

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Répartition des monnaies locales en France. (Source : Monnaie locale complémentaire citoyenne)

Si quelques projets ont échoué, la majorité des monnaies se porte bien. Et elles le peuvent. Elles sont très généralement le fruit de longs mois de réflexions et de mise en place. « Nous avons eu l’idée du Soudicy en octobre 2014, et c’est seulement au bout de 5 ans que nous avons pu le lancer, le 15 juin 2019 », explique Daniel Gerbert-Gaillard, créateur du Soudicy.

Au fait, c’est quoi une monnaie locale ?

Il existe différents types de monnaies locales, mais le plus répandu reste la Monnaie Locale Complémentaire et Citoyenne (MLCC). Comme son nom l’indique, c’est avant tout une monnaie, c’est-à-dire que des consommateurs peuvent l’utiliser pour acheter toute sortes de produits, du moment que les commerçants l’acceptent. Mais d’autres valeurs se cachent derrière.

Locale, car “les MLCC sont distribuées sur un territoire précis”, commente Daniel Gerbert-Gaillard. Concernant le Soudicy, il s’agit du territoire de l’Allier. Complémentaire, car « en créant une monnaie locale, nous ne voulons pas faire ce que fait déjà très bien l’Euro. Par exemple, la spéculation ou la vente d’armes, ajoute-t-il. Par contre nous voulons faire ce qu’il ne fait pas bien, c’est en cela que nous sommes complémentaires. »

Citoyenne,  car “le but, c’est aussi de privilégier le commerce local, l’humain et plus largement l’être vivant. C’est possible, car on peut choisir de valoriser des thématiques comme le social ou l’environnement, grâce au contrôle que nous avons sur les monnaies », termine le responsable bourbonnais. Des valeurs communes à toutes les monnaies locales de France qui sont recensées sur les site des monnaies locales complémentaires.

Pourquoi employer ces monnaies alternatives ? 

La réponse de Daniel Gerbert-Gaillard est claire, la monnaie locale sert à « favoriser l’économie locale éthique » et à « réorienter un bout de la finance ». Une position rejointe par Damien Provasi qui tient la boutique de vrac L’ingrédient à Vichy. « Il n’y a pas d’actions et pas d’intérêts, on ne spécule pas là-dessus, promet-il. Moi ? Ça ne m’apporte rien. Des complications, un petit peu. Mais dans le concept, ça m’apporte beaucoup », s’enthousiasme le quarantenaire.

« Du point de vue local, c’est génial ! » – Damien Provasi, propriétaire d’une boutique utilisant le Soudicy

La monnaie mise en circulation dans l’Allier est vue comme un moyen concret de contribuer à l’économie circulaire. « Je vais payer mon fournisseur, qui rémunère la productrice de fruits et légumes avec, décrit Damien Provasi. Elle, elle fait ses courses ici à la boutique, donc on voit que la circulaire elle est là. On passe plus auprès des banques, c’est entre nous. C’est un échange, c’est concluant, ajoute-t-il.»

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Les monnaies locales de l’Auvergne.

Ces monnaies alternatives permettent aussi de réconcilier l’ensemble des habitants à leur territoire et à leurs commerces de proximité. À l’heure où une prise de conscience écologique se mêle à une méfiance alimentaire, politique et financière, la localité apparaît comme un gage de sûreté. « C’est à la mode les circuits courts, on est en plein dedans, confirme le créateur de la monnaie de l’Allier. Toutes les collectivités essaient de travailler avec. On est un outil pour recréer des liens entre producteurs et consommateurs locaux ».

Existe-t-il des contraintes liées à leur utilisation?

Pour les consommateurs, pas toujours simple de trouver des enseignes qui utilisent ce genre de monnaies alternatives. Dans l’Allier, une carte interactive recensant tous les commerces qui acceptent le Soudicy a été mise en place. Les commerçants ont aussi parfois du mal à trouver des fournisseurs qui acceptent ce mode de paiement. « Au départ, c’est compliqué d’avoir les fournisseurs parce qu’ils ne viennent pas tous de l’Allier, mais je peux en avoir quelques-uns », se félicite Damien Provasi.

Autre difficulté, la conversion de ces monnaies en euro, et inversement. Des solutions sont recherchées dans le centre-ville de Vichy, avec la mise en place de comptoirs pour échanger les devises. « Beaucoup de clients aimeraient utiliser cette monnaie, affirme Damien Provasi. Il n’y a pas assez de points pour faire les échanges. On m’a proposé de le faire ici mais je suis tout le seul, je n’ai pas le temps. » Un responsable du projet de l’Allier se rend dans son magasin tous les mois pour tenir ce guichet improvisé et apporter des explications. Une manœuvre qui a porté ses fruits puisqu’en voyant ces échanges, plusieurs consommateurs se sont immédiatement procurés des Soudicy.

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Les marchés sont des lieux incontournables pour les utilisateurs des monnaies locales.

Enfin, des inconvénients pratiques sont soulignés comme l’impossibilité de rendre la monnaie puisque les centimes n’existent pas. La pénibilité de payer pour des gros montants est aussi observée par le responsable de la boutique de vrac. « Moi j’ai des petits montants donc ça va, mais les chaussures… Qui va payer 200 balles en Soudicy ? » Le propriétaire de L’Ingrédient soulève aussi l’incompatibilité de ce mode de paiement avec la rigueur des documents comptables. 

Utiliser une monnaie locale, c’est avant tout adhérer à un état d’esprit. Dans un monde mondialisé, choisir une monnaie locale et citoyenne c’est, pour beaucoup de consommateurs, se recentrer sur des problématiques dont ils se sentent proches. « Quand j’achète des poireaux avec la Doume, je sais où va mon argent, explique Martine sur le marché de Clermont-Ferrand. En termes financiers, ça ne m’apporte pas grand-chose car ça ne coûte pas moins cher que de payer en euros. Mais au moins je sais que je fais vivre l’économie de ma région. C’est aussi une façon de manifester mon mécontentement contre la société de consommation d’aujourd’hui. »

Clara Maillé et Lucie Piccard



Catégories :Auvergne, Plus Loin

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